Michel Foucault : Subjectivité et vérité. Cours au Collège de France 1980-1981 (EHESS/Gallimard/Seuil) / Jean-François Bert et **Jérôme Lamy ** (ss. dir.) : Michel Foucault, un héritage critique (CNRS Éditions) / Alain Brossat : Abécédaire Foucault (Démopolis) / Revue Sciences Humaines Hors-série N°19 Dossier Michel Foucault
À l’approche du trentième anniversaire de sa mort, survenue le 25 juin 1984, de nombreux ouvrages paraissent, qui témoignent de la vitalité de la pensée de Michel Foucault, une pensée qui s’est notamment formée dans le contexte de l’enseignement, dès 1970 au Collège de France après un passage à l’université expérimentale de Vincennes fondée à l’automne 68. Le dernier en date de ses cours du Collège de France publiés est aujourd’hui disponible, il vient boucler la série puisque les cours des années suivantes L’Herméneutique du sujet , Le Gouvernement de soi et des autres et Le Courage de la vérité sont déjà parus dans la même collection. Le cours de l’année 1980-81 sur « Subjectivité et vérité » confirme le tournant annoncé par La Volonté de savoir , ouvrage publié en 1976 mais qui reprend les éléments de ses premières leçons au Collège de France en 1970. Ce tournant est celui qui va reconduire sa pensée des dispositifs de pouvoir vers la subjectivité comme rapport de soi à soi dans l’horizon des arts de vivre et de l’histoire de la sexualité. Il est amorcé par l’étude de cette volonté de savoir qui, au XIXème siècle notamment, va produire une « explosion discursive » autour de la sexualité dans un sens normatif qui fait cependant apparaître a contrario tout un « disparate sexuel ». Le projet devait déboucher sur une « archéologie de la psychanalyse » mais c’est dans la direction opposée que se tourne finalement Foucault, vers les sources antiques de l’introspection, puis celles, chrétiennes, des techniques de la pénitence, de l’aveu et du sacrifice. Entre elles il souligne une continuité, s’opposant au préjugé qui voudrait que le christianisme ait mis fin à une morale de tolérance professée par l’antiquité païenne. En comparant les écrits d’auteurs de la fin de l’Empire romain comme Artémidore qui déchiffre les rêves sexuels ou les stoïciens avec ceux des premiers Pères de l’Église, il met en lumière une même éthique sexuelle fondée sur le principe selon lequel le plaisir et la jouissance doivent être contrôlés pour éviter de verser dans l’excès et la violence. C’est cette norme de la « bonne sexualité » qui s’illustre dans la fable de l’accouplement des éléphants reprise en boucle par toutes sortes d’auteurs du IIème au XVIIème siècle, dont saint François de Sales, et présentée dès le début du cours avec toutes ses « excuses » car le titre « un peu solennel » de Subjectivité et vérité ne laissait pas présager une telle entrée en matière : la vie de l’éléphant monogame, fidèle et pudique, qui se cache pour faire la chose, laquelle ne se produit que tous les trois ans puisque la gestation dure deux ans. La fortune de ce modèle animalier de la sexualité conjugale remonte à Aristote, elle dessine le fil conducteur d’une morale de la sexualité qui aura la vie dure car – je cite Foucault « ces codes sont étonnamment stables, continus, lents à se mouvoir », de même « que la façon dont ils sont observés ou transgressés semble elle aussi très stable et très répétitive ».
Les éditeurs du cours, François Ewald, Alessandro Fontana et Frédéric Gros insistent sur l’ancrage de la pensée de Foucault dans l’actualité et son « subtil croisement entre une érudition savante, un engagement personnel et un travail sur l’événement ». C’était vrai pour le traitement des maladies mentales et pour la prison. On s’aperçoit aujourd’hui avec la pénalisation croissante des fous qu’il était même en avance sur son temps. Le furieux débat sur le mariage pour tous dans notre pays lui donne également raison sur la stabilité des codes en matière de sexualité. La vigueur réfractaire de sa pensée est d’ailleurs largement commentée dans l’ouvrage collectif publié aux éditions du CNRS sous la direction de Jean-François Bert et Jérôme Lamy. On y trouvera notamment un entretien avec Judith Butler qui évoque la traduction anglaise de La Volonté de savoir , qui mettra en garde les partisans de la libération sexuelle contre l’illusion « qu’en disant oui au sexe » on dit non au pouvoir, lequel – je cite – reste « un élément invariable de la sexualité, ce qui le rend passionnant et créatif comme pratique ». Au chapitre des confrontations, on pourra y retrouver les grands débats avec Bourdieu ou Michel de Certeau et dans l’orbite des postcolonial studies avec Edward Saïd. Et la contribution d’Alain Brossat sur l’usage ambivalent de la « boite à outils » de Foucault, Surveiller et punir étant devenu par exemple la bible des formateurs de l’École nationale de l’administration pénitentiaire. Le même Alain Brossat qui propose son très personnel Abécédaire Foucault chez Démopolis.
Jacques Munier
Revue Sciences Humaines Hors-série N°19 Dossier Michel Foucault
http://www.scienceshumaines.com/michel-foucault_fr_534.htm
Un dossier en 3 parties : l’homme, l’œuvre et l’héritage
Avec la contribution de Mathieu Potte-Bonneville sur la notion d’intellectuel spécifique, qui ouvre la voie au règne des experts et des lanceurs d’alerte, et le témoignage de Guillaume Bellon sur le prof qu’était Foucault. Un N° qui évoque ses héritiers mais aussi ses détracteurs ou ses critiques comme Derrida, Habermas ou Marcel Gauchet
L'HOMME
Foucault l'énigmatique
Héloïse Lhérété
L'intellectuel spécifique : un nouvel art de contester
Mathieu Potte-Bonneville
Quel prof était Foucault ?
Entretien avec Guillaume Bellon
L'OEUVRE
Métamorphoses d'une oeuvre
Jean-Claude Monod
Foucault à travers ses livres
Histoire de la folie à l'âge classique
Catherine Halpern
Surveiller et punir.
Naissance de la prison
Martine Fournier
Microphysique du pouvoir
Clément Lefranc
L'histoire au service de la philosophie
Catherine Halpern
Le gouvernement de soi
Frédéric Gros
Le christianisme et l'aveu du désir
Michel Senellart
Foucault et la littérature
Judith Revel
La querelle du néolibéralisme
Michael Behrent
L'HÉRITAGE ET LES CRITIQUES
Foucault l'Américain
Michael Behrent
De l'homosexualité au problème du «genre»
Fabien Trécourt, avec Éric Fassin
Les traductions de Foucault dans le monde
L'archipel des héritiers
Jean-François Bert
Cartographie d'un paysage philosophique
Judith Revel, avec Guillaume Le Blanc et Philippe Raynaud
Foucault et l'école : une étrange absence
François Dubet
De la prison à la loi, le legs juridique
Jean-Claude Monod, avec Antoine Garapon
Relations Internationales, le tournant critique
Philippe Bonditti
La société face à ses malades mentaux
Sarah Chiche, Pierre-Henri Castel
Gouverner les vies
Entretien avec Didier Fassin
Architectures foucaldiennes
Fabien Trécourt
Foucault sur les planches
Entretien avec Sabrina Baldassarra et Lucie Nicolas
Les critiques de Foucault, d'hier à aujourd'hui
Michael Behrent
Glossaire
Céline Bagault et Héloïse Lhérété
Bibliographie
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