Alexandre Obœuf (ss. dir.) : Sport et médias (CNRS Éditions)/ Revue Desports N°6 Dans la roue du Tour
Sports et medias entretiennent une relation étroite, presque consubstantielle si l’on prend en considération le fait que l’argent du sport est intimement lié à cette relation par le biais des droits de retransmission. Mais ce n’est pas tout : lorsque le Tour de France rassemble devant le petit écran près de 3 millions et demi de téléspectateurs français comme ce fut le cas l’an dernier et 3 milliards et demi dans 190 pays, on peut légitimement se demander s’il s’agit seulement d’une compétition sportive ou aussi d’un événement médiatique et quelle est la part respective de chacun dans l’affaire. Le sport est à l’origine de nombreuses innovations techniques dans les médias audiovisuels, comme la boule Wescam, une caméra suspendue à l’hélicoptère, guidée à partir du cockpit et qui permet, grâce à une stabilité constante et une amplitude focale importante, non seulement de suivre la Grande Boucle en plongée, mais aussi de « montrer la France » dans le détail de ses particularités géographiques. Inversement, comme le rappelle Fabien Wille dans ces pages, c’est un organe de presse qui est à l’origine de la création en 1903, le 1er juillet, du Tour de France, le journal L’Auto , l’ancêtre de L’Équipe , ce qui fera passer en dix ans son tirage de 20 000 à 320 000 exemplaires. La politique est rarement absente de ce mariage de raison et de passion entre sports et médias. En l’occurrence, le journal concurrent – Le Vélo – qui couvrait notamment le Paris-Roubaix, s’était distingué en prenant fait et cause pour le capitaine Dreyfus. C’est pour réduire son audience qu’un groupe d’industriels de l’automobile et du cycle, ainsi que des dirigeants sportifs, décident de lui opposer ce titre rival, d’abord nommé L’Auto-Vélo , en 1900.
Le pouvoir des médias est notamment celui de fixer un ordre du jour social . Leur influence sur l’opinion, leur pouvoir de formatage des esprits est sujet à débat mais cette faculté de « mise à l’agenda », ce que les anglo-saxons désignent par le concept d’agenda-setting , est incontestable et constitutive de leur impact social. S’il est vrai qu’en démocratie ils ne s’emploient pas à nous dire ce qu’il faut penser, ils excellent en revanche à nous indiquer « ce à quoi il faut penser ». On peut le constater tous les jours dans les conversations ordinaires, devant la machine à café ou au bistrot, connaître et décliner l’ordre du jour social c’est se donner les moyens de faire bonne figure, comme l’a observé le sociologue américain spécialiste des interactions et de la mise en scène du quotidien Erving Goffman. L’enjeu ici n’est pas exactement de l’ordre de l’information, il est avant tout social. Le sport participe éminemment de cette comédie ordinaire, qui a ses ténors et ses vedettes, qui empruntent à l’épopée des athlètes ses énergies collectives.
Dans le nœud gordien formé par le sport, les médias et l’argent, une question résiduelle et lancinante résiste obstinément à l’éthique du fair-play et de l’égalité devant l’effort : le dopage. La question affecte tout particulièrement le cyclisme, où d’anciennes habitudes traînent autour du dénommé « pot belge ». Mais tous les sports sont touchés par les versions les plus récentes de cette « émulation chimique » où l’on ne sait au juste à qui profite le crime : au spectacle ou à la performance individuelle. Visiblement, on est loin d’en avoir fini avec ce problème. On évoque aujourd’hui la possibilité d’usages de la thérapie génique dans le but d’améliorer les performances sportives, des pratiques dont le dépistage serait impossible. Cette nouvelle forme de dopage relève encore de la science-fiction mais elle menace déjà. A tel point que la relation éthique s’est en quelque sorte inversée : ce ne sont plus les sportifs qu’il faudrait protéger des apprentis-sorciers de la technoscience, mais les scientifiques eux-mêmes des pressions provenant du monde et de l’économie du sport pour détourner des traitements expérimentaux afin d’améliorer les performances. On parle d’athlètes génétiquement modifiés, alors même que la thérapie génique n’en est qu’à ses débuts et qu’elle n’est pas sans risques. L’enjeu serait de raccourcir la durée du repos nécessaire pour augmenter celle de la phase favorable à l’entraînement sans nuire aux capacités musculaires et psychiques de la résistance à l’effort, et afin d’éviter le symptôme du surentraînement. On sait que ce temps de repos est constamment écourté chez les professionnels pour les besoins du spectacle et de la rentabilité financière. Mais les médecins, notamment ceux de la commission médico-sportive nationale, considèrent depuis longtemps que – je cite « pour éviter l’abus du doping, il serait souhaitable, entre autres, d’alléger le calendrier des compétitions parfois trop rapprochées ».

Revue Desports N°6 Dans la roue du Tour
Il y a aussi une relation noble entre le sport et le journalisme, elle est illustrée par la revue Desports qui accueille le grand reportage et les écrivains, et elle s’est incarnée dans la figure d’Albert Londres qui, après avoir décrit l’enfer des bagnes en 1924 se lançait sur les routes du Tour de France dans la roue de ceux qu’il appelait Les Forçats de la route . Dans ce N°, c’est Julian Barnes qui s’est arrêté au sommet du mont Ventoux pour célébrer la mémoire du coureur britannique Tom Simpson, mort le 13 juillet 1967 sur ses pentes
Dans la perspective du prochain Tour de France (4 au 26 juillet 2015) un grand dossier sur la course cycliste, le plus littéraire des sports. Au programme, étape par étape : Les « seconds couteaux », fines lames et grandes gueules par Paul Fournel ; et les plumes du vélo au rendez-vous : Jean-Louis Le Touzet, Olivier Haralambon, Bernard Chambaz… Avec le grand reportage de Philip Gourevitch sur l’équipe nationale de cyclisme du Rwanda, « devenue le symbole d’expiation collective d’un pays » : Les grimpeurs
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