Une traversée de la pièce chorégraphique "Umwelt" de Maguy Marin en compagnie de spectateurs aveugles ou malvoyants, d'intervenantes en audiodescription ainsi que de la chorégraphe et danseurs de la compagnie. Une expérience de Christiane Dampne qui déplace les contours de nos univers perceptifs.
Une Expérience signée Christiane Dampne réalisée par Véronique Samouiloff
Christiane Dampne en tant que spectatrice avide de chorégraphies est habitée par cette question : comment rendre perceptible un spectacle de danse à des personnes aveugles en dépassant la seule description des actions ? Autrement dit, comment mettre en mot la danse - écrire la danse ? Et comment doser ces mots, ni trop, ni trop peu, pour tisser une passerelle vers l’univers de la chorégraphie ? Audrey Laforce, audiodescriptrice confie "J’ai l'impression d'être les yeux de quelqu'un ; on est les yeux de fait, techniquement. Mais quel regard on a ? Le plus important, ce n'est pas tant d'être un organe pour quelqu'un. C'est quel type de regard on porte ?". Dès lors, comment ne pas assécher la proposition artistique et suggérer des images sans imposer l'interprétation de l'audiodescriptrice ? La gageure est de taille d’autant plus que la danse souffre de l'idée reçue selon laquelle elle serait tellement insaisissable que presque indéfinissable et indicible.
Officiellement créée en France en 1989, l’audiodescription consiste à décrire à l’intention des personnes aveugles et malvoyantes des films, pièces de théâtre, spectacles de danse et de cirque, expositions, et toute autre expression artistique comportant des images. Depuis la loi de 2015, l’audiodescription s’est développée pour la télévision et le cinéma. Dans le domaine du spectacle vivant, les personnes aveugles et malvoyantes peuvent aussi suivre de nombreuses représentations théâtrales ou des opéras en écoutant l’audiodescription à l’aide d’un casque. En revanche c’est beaucoup moins répandu pour la danse et le cirque.
Christiane Dampne a rencontré Marina Nguyen Dinh An, étudiante en master Arts de la scène et du spectacle vivant qui rédige un mémoire sur la réception non-visuelle de la danse et l’accessibilité des spectacles chorégraphiques pour les personnes mal- et non-voyantes, faisant écho à son propre questionnement. Marina Nguyen Dinh An se forme à l'audiodescription en danse auprès d’Audrey Laforce en travaillant ensemble sur la pièce chorégraphique radicale Umwelt de Maguy Marin, créée en 2004.
Pour construire sa pièce Umwelt, la chorégraphe Maguy Marin s'est nourrie de Beckett dans sa quête de l'épuisement des possibles, de l’idée de Deleuze sur le fait de prendre les choses par le milieu, sans début et sans fin. Elle s’est aussi questionnée avec Spinoza sur ce que peut le corps et s’est emparée du concept d’Umwelt du biologiste et philosophe allemand Jakob von Uexküll. Littéralement, Umwelt signifie "environnement". Le concept pourrait se résumer par le fait que chaque espèce vivante a son univers propre qu'elle perçoit à travers ses sens et qu’elle parcourt en fonction de ses besoins vitaux. Le philosophe Uexküll parle de la perception du chien, de la mouche, de la tique qui diffère de celle de l'homme.
Pour faire écho au cœur de la pièce chorégraphique, Christiane Dampne a pris à bras le corps le concept d’Umwelt appliqué au monde humain. Elle est partie à la rencontre de cinq spectateurs aveugles et malvoyants de cette pièce. Selon le type de pathologie oculaire, une personne malvoyante perçoit le monde différemment d'un autre individu malvoyant. Cinq subjectivités perceptives donc. L'un d’eux, Pascal Buthion, constate : "aveugle je ne sais pas ce que c'est, tout comme je ne sais pas la manière dont vous voyez”.
Chacun son Umwelt.
Christiane Dampne a aussi rencontré des individus voyants il s'agit des intervenantes audiodescriptrices, de la chorégraphe Maguy Marin et des danseurs de sa compagnie. Une plongée dans leurs modes de perception singuliers.
"Peut-on donner à (perce)voir la danse ?" la chorégraphe Maguy Marin répond : "c’est une sensibilité particulière de ne pas y voir. On ne peut pas se mettre à la place d’une personne non-voyante et donc quand on le fait, on le fait au mieux pour essayer de rendre ce qui est vu mais on ne peut pas rendre exactement toute la polysémie d’un geste".
Peut-on se mettre dans la peau de quelqu'un d'autre, qu'il soit voyant ou non ? La tentative est peut-être vaine mais vaut la peine d'être explorée car elle déplace les contours de nos univers perceptifs.
Pour en savoir plus
Bibliographie
- Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, Denis Diderot, 1749.
- Charte de l’audiodescription, Laure Morisset et Frédéric Gonant, CSA, 2008.
- Milieu animal et milieu humain, Jacob von Uexküll, Ed. Rivages, 2010.
- Audiodescription et accessibilité des spectacles chorégraphiques pour les personnes mal- et non-voyantes, une réception non-visuelle de la danse ?, Mémoire de Marina Nguyen Dinh An, sous la direction de Laetitia Dumont-Lewi à l’Université Lumière-Lyon 2 - Soutenance prévue en septembre 2022.
Musique
- "Less" d'Erik Truffaz, Bending new corners, 1999.
- "Good news from the desert" d'Erik Truffaz et Murcof, Best of Erik Truffaz, 2011.
- "Origin of the world" d'Erik Truffaz et Murcof, Being human being, 2014.
Générique
Avec :
- Asma Ben Lazrak
- Pascal Buthion
- Pierre-Jean Delizy
- Aline Retornaz
- Marie-Christine Rouch
- Maguy Marin
- Louise Mariotte
- Paul Pedebidau
- Audrey Laforce
- Marina Nguyen Dinh An
Prise de son : Marjolaine Bermond de France Bleu Isère
Prise de son audiodescription et bande son du spectacle : Fabien Plasson de la Maison de la Danse de Lyon
Mixage : Sébastien Royer
Réalisation : Véronique Samouiloff
Une création sonore de Christiane Dampne
Remerciements
Merci à François Brun, Président du comité de l'Isère de l’association Valentin Haüy avec les aveugles et les malvoyants. Merci également à la chorégraphe et aux danseurs de la compagnie Maguy Marin ainsi qu'à Loli Hidalgo. Un grand merci à Audrey Laforce et Marina Nguyen Dinh An, audiodescriptrices, à Alice Poncet et Fabien Plasson du Pôle image de la Maison de la danse de Lyon ainsi qu'à l'équipe de la MC2, Maison de la Culture de Grenoble. Merci enfin à Pierre Venuat de France Bleu Isère.
L'équipe
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