Le film de Jacques Demy, "Une chambre en ville", revêt une importance particulière pour Katell Guillou. Sa grand-mère, Amélie, y tient un rôle singulier aux côtés de Danielle Darrieux. Katell Guillou est retournée dans cette chambre de la ville de Nantes pour convoquer les fantômes de ce film...
Une Expérience signée Katell Guillou, réalisée par Véronique Lamendour
Quand on est né à Nantes et que l’on aime le cinéma, Jacques Demy fait depuis toujours un peu partie de la famille. Ses films ne ressemblent guère à des films de famille. Pourtant il en existe un qui a joué ce rôle pour Katell Guillou.
Sorti en 1982, Une chambre en ville a pour protagoniste François Guilbaud, un paysan breton venu travailler à Nantes après la guerre. Devenu ouvrier métallurgiste aux Chantiers Navals, il loue une chambre chez Madame Langlois, la veuve d’un colonel qui vit désormais seule dans son vaste appartement de la très chic rue du Roi-Albert. Une autre chambre restera obstinément fermée pendant toute la durée du film : celle du fils de Madame Langlois, mort un an plus tôt, deux ans après son propre père, tué, lui, en Indochine. Ce sont les deux premiers fantômes de cette histoire.
Il y en a un autre. Madame Langlois, qu’incarne Danielle Darrieux, aristocrate déchue devenue une bourgeoise contrariée, ne peut pas ne pas avoir une domestique pour dépoussiérer les innombrables pièces aux tapisseries colorées de son appartement. On ne la verra pas non plus apparaître à l’écran. Or cette domestique fantôme, c’est la grand-mère de Katell, Amélie.
Née en 1927 dans une ferme de la campagne bretonne, Amélie était venue travailler à la ville à l’âge de 19 ans en tant que cuisinière et femme de ménage au service d’une riche famille bourgeoise vivant à la même adresse que Madame Langlois. En 1953, elle avait épousé Louis, ouvrier aux Chantiers Navals. Un collègue de François Guilbaud.
En 1955, date où se déroule l’action du film, de dures grèves paralysent les Chantiers. Des manifestations ont lieu quotidiennement à Nantes et en particulier dans cette fameuse rue du Roi-Albert qui relie la cathédrale Saint-Pierre à la Préfecture.
Katell Guillou aime imaginer sa grand-mère, alors âgée de 28 ans, tremblant et fredonnant aux côtés de Danielle Darrieux derrière les lourds rideaux rouges du salon d’où elles pouvaient épier les affrontements entre les ouvriers et les CRS.
Et si Amélie avait vraiment été la domestique cachée de la Colonelle ? Et si son jeune époux, Louis, avait combattu en chantant aux côtés de Guilbaud, Dambiel et les autres, pour réclamer une vie meilleure … ? Katell Guillou fait ici l’expérience d’explorer le hors-champ de cette chambre de la ville de Nantes. D’évoquer les fantômes qui se cachent derrière ses murs de carton-pâte aux papiers peints criards et les dissonances de ses dialogues opératiques.
Pour aller plus loin
Bibliographie
- Le cinéma enchanté de Jacques Demy, de Camille Taboulay (éditions Cahiers du Cinéma, 1996)
- Les Lumières de la ville : un siècle de cinéma à Nantes, de Yves Aumont et Alain-Pierre Daguin, préface de Jacques Demy (éditions L’Atalante, 1989)
Générique
Avec les voix de : Suzanne Guillou (la fille d’Amélie), Dominique David (cousine de Jacques Demy), Camille Taboulay (scénariste, critique de cinéma et essayiste), Patrice Martineau (réalisateur, second assistant de Jacques Demy sur le tournage d’Une chambre en ville), Christophe Patillon (historien, animateur-chercheur du Centre d'histoire du travail de Nantes), Gérard Tripoteau (ancien ouvrier aux Chantiers Navals, président de l’Association Histoire de la construction navale à Nantes)… et la voix d’Amélie
Extraits divers : Une chambre en ville, de Jacques Demy, musique de Michel Colombier (1982) ; document INA : émission "Cinéma cinémas" sur le tournage d’Une chambre en ville ; Jacquot de Nantes, d’Agnès Varda (1990)
Prise de son : Laurent Lucas
Mixage : Alain Joubert
Réalisation : Véronique Lamendour
L’Expérience de France Culture et les Beaux-Arts de Paris
Pour chaque numéro de L'Expérience, un.e étudiant.e de l’Atelier de Joann Sfar des Beaux-Arts de Paris propose une illustration inédite. Inspiré.e par l’écoute, il ou elle réalise un dessin qui complète le geste de l’auteur du documentaire de création.
Cette illustration est signée Ymane Chabi-Gara, dont les images sont à retrouver sur Instagram : @ymaneneon
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