

A partir d'une correspondance initiée par les autrices Xavière Gauthier, Isabelle Cambourakis et Sophie Houdart, Bastien Lambert explore le territoire de La Hague pour comprendre ce qui se joue dans les interstices entre les barbelés de "l’usine atomique" et les clôtures des parcelles agricoles.
Une Expérience signée Bastien Lambert, réalisée par Thomas Dutter
Suite à la rencontre avec la chercheuse et anthropologue Sophie Houdart, Bastien Lambert décide de retourner dans le Cotentin où il a grandi. Entendre les voix d’agriculteur.rices devenu.es gardiens, blanchisseuses, opérateurs dans les produits de fission.
Mettre des mots sur cette cohabitation ambigüe qui marque les espaces de leur empreinte. A La Hague, l'usine de retraitement de déchets nucléaires a été construite sur un plateau, dans les années 1960'. Elle est entourée par les champs, la côte sauvage, et la mer sur trois côtés. L'installation à proximité du raz Blanchard, un passage où sévit un des courants les plus puissants d’Europe, a été une des raisons de ce choix stratégique.

Tenter de capter ce qui compose les paysages sonores de la Hague, scruter les signes qui rythment la vie quotidienne sur ce petit bout de terre : les sirènes d’exercices, le premier mercredi de chaque mois, cohabitent avec les bruits de la houle, les sons des animaux et des tracteurs ; le vent si puissant sur la lande se mêle aux cloches de l’église de Jobourg datant du XIIè siècle. Ainsi, les échelles de temps se télescopent, des réalités diverses cohabitent et se font écho.
Sophie Houdart se rend régulièrement à la Hague ; ne pouvant plus voyager au Japon pour ces recherches depuis deux ans, elle commence à appréhender cet espace comme un "terrain analogue" à Fukushima. Si la catastrophe nucléaire n’y a pas (encore) eu lieu, il présente des similitudes frappantes avec la région japonaise. Ensemble, ils tentent de comprendre comment ces deux régions du monde sont liées par une histoire commune. La chercheuse relate : "je m’intéresse à ce qui tisse l’intimité pour un lieu, ce par quoi on s’y attache, ce qui complique cette attachement".
Chercher par la pratique de la marche, dans la lecture des espaces et des paysages, à imaginer la Hague comme une future zone interdite.
Bastien Lambert raconte à la chercheuse que pendant son enfance à Saint-Lô, lorsqu’avec ses copains d’école, ils imaginaient une catastrophe nucléaire dans la région, ils projetaient ce scénario : "nous nous racontions toujours la même histoire. Si l’usine de retraitement de déchets nucléaire venait à exploser, un plan d’urgence serait déployé pour séparer définitivement le Cotentin du reste du continent. Les écluses autour des marais de Carentan seraient grandes ouvertes, les voix de communication terrestres coupées et les populations du nord rapatriées vers le sud. Le Cotentin deviendrait une île à part entière, laissée en libre-service pour les vaches, les pommiers et les embruns contaminés".

Ce récit est rattrapé par une actualité brûlante : un nouveau projet "d'entreposage" des déchets nucléaires est prévu dans la zone. Le concept d'éco-féminisme développé par Xavière Gauthier dans la correspondance et la relation en miroir avec Fukushima entrent en résonance avec les aspirations d’une jeunesse haguaise prête à tout pour trouver de nouvelles manières d'habiter la presqu’île.


Pour en savoir plus
Bibliographie
- Retour à La Hague, féministe et nucléaire de Xavière Gauthier, Sophie Houdart et Isabelle Cambourakis, édition Cambourakis, 2022.
- On les appelait Pétroleuses de Xavière Gauthier, édition Elyzad, 2022.
- Fukushima et ses invisibles, ouvrage collectif, éditions des mondes à faire, 2018.
- Des femmes contre des missiles, Rêves, idées et actions à Greenham Common d'Alice Cook et Gwyn Kirk, édition Cambourakis, 2016.
- Les parleuses, retranscription de conversations entre Marguerite Duras et Xavière Gauthier, éditions de Minuit, 2013.
- La Hague, ma terre violentée de Xavière Gauthier, Mercure de France, 1981.
Articles
- Choses radieuses de Sophie Houdart et Mélanie Pavy, dans Arts & Sociétés. Lettre du séminaire, n°122, 2021.
- Fukushima, l’expérience en partage de Sophie Houdart, dans Critique, Vivre dans un monde abîmé, n°860-861, 2019.
- On sort donc les tripes petit à petit de Sophie Houdart et Mélanie Pavy, Terrain, Consistance d’un territoire contaminé, 2019.
Documentation
A découvrir
- Rencontre avec Xavière Gauthier et Isabelle Cambourakis à l'occasion de la parution de Retour à la Hague, Féminisme et nucléaire à la librairie Les Schistes bleus à Cherbourg le 15 octobre
- Lecture et débat avec Xavière Gauthier et Isabelle Cambourakis le 16 octobre à 14h30 à la salle municipale de Jobourg
Générique
Avec : Hélène, Maurice, Pascal, Marie-Josiane, Manu, Bernard, Lisa, Yves, Mathilde, Pierre, Delphine, Pascale, l’équipe du CROSS Jobourg, Sylvain Renouf de l’usine Orano-La Hague et le jeune garçon de la plage d’Omonville-la-Rogue
Ainsi que : Xavière Gauthier, Isabelle Cambourakis et Sophie Houdart
Archives INA : Véronique Jolivet et Christelle Rousseau
Prise de son : Yann Fressy et Lucien Lefèvre
Mixage : Manuel Couturier
Réalisation : Thomas Dutter
Une création sonore de Bastien Lambert
Remerciements
Merci à Anne-Sophie Girault, Céline Samperez-Bedos, Eric Charpy, Véronique Leguay, Hugo Philippon et Simon Cervantes.
Merci également à Victor Brecard, Aimé Paris et Ludivine Mabire.
L'équipe
- Production
- Bastien LambertProduction déléguée
- Réalisation
- Collaboration
- Collaboration