

Faut-il faire vacciner sa mère en premier ?
Oui, je pense que c’est la bonne question à se poser.
Lorsque la vaccination démarrera en France – puisque l’on peut imaginer qu’elle démarrera un jour – comment non pas se faire vacciner soi-même, mais faire vacciner sa mère ou tout autre personne vulnérable contre le Covid 19 ?
Je pars donc du postulat que votre mère n’a pas 25 ans, et n’est pas dans l’équipe féminine de handball. Je suis sûr qu’il y aurait moins d’anti-vaccins pour les autres – l’hostilité au vaccin le dispute au désintérêt pour le vaccin, mais lorsqu’il s’agit de vacciner autrui, et notamment un autrui en risque, l’attitude change. Donc là, en l’occurrence, comment faire vacciner sa mère, sachant que votre mère n’est pas prioritaire, parce qu’elle n’est pas en EHPAD, ou bien qu’elle n’appartient pas au personnel soignant de plus de 50 ans.
Faut-il chercher un passe-droit, déguiser sa mère en soignant, mentir pour pouvoir piquer sa mère ? Face à ce dilemme, deux attitudes traditionnelles.
Première catégorie, appelons-la, celle des kantiens. Pour eux, il s’agit d’universaliser leur comportement, pour en faire la règle commune à la vie en société. Dans cette perspective, impossible de faire vacciner sa mère si celle-ci n’y a pas droit. Mais dans le même temps, les kantiens ont été à rude épreuve pendant cette pandémie – leur taux de mortalité n’a pas été plus élevé que celui des non kantiens, enfin pas que je sache, mais ils ont avalé beaucoup de couleuvres. Ainsi, ils ont considéré qu’ils n’avaient pas droit aux masques, alors que quelques semaines plus tard, celui-ci devenait obligatoire pour eux.
Second terme de l’alternative, être, disons, « camusien », parce que l’on prête à Albert Camus un propos, un peu apocryphe, mais j’en ai besoin pour ma démonstration, alors je m’en saisis - entre la justice et ma mère, je choisis ma mère. Dans ces conditions, pas de doute possible, j’ignore la justice et je fais vacciner ma mère. Ce n’est pas moral du point de vue de la collectivité, mais c’est moral du point de vue familial : vous aidez votre mère à qui vous devez beaucoup, enfin j’imagine, et si vous ne l’aidez pas, personne ne l’aidera. Etre camusien, en ce sens, c’est avoir moins de principe, mais aussi moins de remords, ou en tout cas d’autres principes. C’est en fait considérer que du bois tordu de l’humanité on ne peut pas faire quelque chose de droit.
Mais alors justement, si l’humanité n’est pas droite, il faut accepter de guider la seringue pour piquer droit.
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