Lire Appelfeld, c’est se confronter à un cauchemar.
Je ne sais pas s’il faut lire Aharon Appelfeld… Non, je ne sais pas si je peux vous suggérer de lire l’un des 40 livres de l’écrivain israélien Aharon Appelfeld mort hier à l’âge de 85 ans.
Je ne sais pas si je peux, parce que lire Appelfeld, c’est se confronter à un cauchemar. Au cauchemar des cauchemars, son cauchemar à lui qui a été enfant pendant la Shoah. Tous les livres d’Appelfeld sont des déclinaisons sur le thème de « c’est ma Shoah », mais ils font écho à ce que d’autres enfants ont vécu hélas, et continuent à vivre au Cambodge, au Rwanda, à Gaza, en Syrie.
Qu’est-ce que c’est que la peur chez un enfant ? Qu’est-ce qu’une société, une civilisation, qui ose faire peur à des enfants ? Né à Czernowitz, alors en Roumanie, en 1932, doté d’un père tendre et d’une mère aimante, il assiste à l’assassinat de sa mère alors qu’il a 8 ans. Au départ de son père pour les camps de la mort alors qu’il a dix ans, il s’enfuit du ghetto et va, à l’âge de 10 ans, trouver refuge dans la forêt ukrainienne, aidé par certains hommes, protégé par les paysans parfois, menacés par eux à d’autres moments.
« La Seconde Guerre mondiale dura six années. Parfois il me semble que ce ne fut qu'une longue nuit dont je me suis réveillé différent, écrivait Appelfeld, ce qui s'est gravé en moi de ces années-là, ce sont des sensations physiques très fortes. Le besoin de manger du pain. Aujourd'hui encore je me réveille la nuit, affamé. »
La langue maternelle d’Appelfeld était le roumain, mais il écrivait en hébreu, après avoir désappris, j’insiste sur le verbe, désappris, la langue de ses tortionnaires, du roumain à l’allemand. Il aurait pu écrire en Yiddish, la langue des juifs de l’est, oui mais voilà le yiddish cela n’est pas une langue morte, c’est une langue de gens qui sont morts. Et Aahron Appelfeld écrivait pour les vivants, d’une voix très douce quand il vous recevait dans sa petite maison de Jérusalem, s’intéressant à vous comme si vous étiez le premier humain qu’il rencontrait, parlant d’une condition tragique, pire peut-être que la Stabat Mater dolorosa, la douleur des mères, la peur des enfants qui n’ont plus de mère.
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