Un hommage à Kookaï

Alors, je sais bien que le fait d'évoquer l’âge d’or de Kookaï date plus sûrement que le carbone 14, d’ailleurs dans les années 1990, en France, il devait bien y avoir une marque qui s’appelait Carbone puisqu’il y avait des marques qui s’appelaient Jus d’Orange, Morgan, Sud Express, La City, un empire de chiffons, l’autre révolution industrieuse française en matière de fripes, les années 1980, et la naissance du quartier le plus sauvage de Paris, sauvage et beau, enfin beau on faisait ce que l’on pouvait, le Sentier, le quartier de Paris dévolu au textile.

Car la France n’a pas connu une mais deux révolutions, la première est intervenue dans les années 1960, et c’était le prêt-à-porter, l’émancipation, plus de patrons ni de tailleurs, la possibilité de trouver des vêtements tout faits à Paris comme à Morlaix. Avant le prêt-à-porter, expliquait en substance Edgar Morin, il fallait cinq ans à la mode du pantalon pour aller de Rennes à Morlaix. Mais le prêt-à-porter était une mode sérieuse, durable, qui habillait pour longtemps et c’est pourquoi il y eut une autre révolution dans les années 1980, révolution initiée au Sentier : après la haute couture, la basse couture, une mode pas sérieuse et pourtant grave, puisqu’elle mourrait jeune, une mode qui survivait rarement à la saison, une mode d’ailleurs plus hystérisée et changeante que la mode, car à l’intérieur de la mode grouillent et s’agitent des esprits animaux, j’ai nommé les tendances.

Le prêt-à-porter contre le Sentier, autrement dit les jeunes contre les vieux, un combat millénaire, aujourd’hui c’est par exemple l’affrontement entre woke et antiwoke, mais jadis, dans les années 1990, c’était la lutte à mort entre le chaîne et trame, et la maille. Car voyez-vous, il y a encore plus important que le clivage droite-gauche, vegan-viandard, c’est le combat qui oppose le chaîne et trame, tissu sérieux et non extensible, tissu qui voile et habille, à la maille, maille près du corps, suggestive et jeune, la maille qui dévoile et ne pardonne rien. Kookaï, Morgan et La City ont été les valeureux combattants de la maille, la maille lycra s’il vous plait, faisant découvrir la fast fashion à la France… Aujourd’hui, Kookaï la maille va mal, et nous nous ne sentons pas très bien, c’est notre jeunesse qui défile, non plus sur les podiums mais à l’ombre des souvenirs, tout près du corps.