Déjà les enterrements de chef d’état c’est pas drôle.
Mais, en plus, il faut souffrir les répétitions jusqu’à l’épuisement de la formule de Kantorowicz, « les deux corps du roi » devenue une formule creuse, brandie comme un trophée par quantité de commentateurs épuisés par le deuil. Le problème, c’est qu’en évoquant les deux corps du roi, l’historien allemand Ernst Kantorowicz pensait à tout, sauf à l’enterrement de Jacques Chirac.
Kantorowicz était un personnage fascinant, juif, né en Allemagne au XIXème siècle, mort aux Etats Unis en 1963, ultraconservateur — sa biographie de Frederic II fut l’un des livres de chevet d’Hitler — il refusa d’être un aryen d’honneur et émigra aux Etats-Unis où il refusa, par temps de maccarthysme, de faire allégeance au régime, malgré son anticommunisme radical. Quant à sa formule des « deux corps du roi », elle faisait sens pour l’Angleterre des Tudor, au XVème siècle, soit cinq siècles avant JC, Jacques Chirac. Kantorowicz tente de comprendre comment l’on est passé alors du théologique au politique, comment le pouvoir qui appartenait, au cours du haut Moyen-Age, à l’église, a été progressivement dérobé par le pouvoir politique donc laïc. Les « deux corps du roi », c’est cette opération de prestidigitation ou une fiction juridique, « le roi est mort, vive le roi » permet au souverain de réunir au sein d’une même personne, la sienne en l’occurrence, un corps physique et un corps mystique, symbolisant lui-même l’homogénéité corporelle de la nation, les théories qui prévalaient à l’époque étant des théories organicistes de la société, elles se représentaient la société comme un corps.
Oui mais voilà, où sont les deux corps aujourd’hui ? Il y a le corps physique de Jacques Chirac, dont nous ignorons tout, obscurci qu’il est par cinquante ans de glose, de communication politique, de « Jacques Chirac a changé », passant de reaganien à radical socialiste, cinquante nuance de Jacques Chirac au moins. Quant à son corps mystique, il n’a jamais assuré la cohésion de la nation, si les Français se rassemblaient autour de leur chef de l’état ça se saurait, et surtout cela supprimerait toute idée de politique, nous ne sommes plus à l’époque des Tudor où le roi avait par nature 100 % d’approbation.
Voilà pourquoi il faudrait mieux enterrer les « deux corps du roi » avec nos vieux souverains pour s’incliner devant pensée subtile et donc vivante d’Ernst Kantorowicz.
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