Placer l’âme de la France dans les vieilles pierres

Basilique de Saint-Denis en travaux.
Basilique de Saint-Denis en travaux. ©AFP - MATTHIEU ALEXANDRE
Basilique de Saint-Denis en travaux. ©AFP - MATTHIEU ALEXANDRE
Basilique de Saint-Denis en travaux. ©AFP - MATTHIEU ALEXANDRE
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il y a quelque chose d’étrange dans cette surenchère de superlatifs, cet exercice hyperbolique relatif à Notre-Dame, comme si l’on voulait se rassurer en se disant qu’il existe un bâtiment au moins où la France entière se retrouve.

Il faudra écrire une histoire du traitement de l’incendie de Notre-Dame. Oui, ce qui m’inspire cela, c’est, par exemple, la couverture du magazine L’Express daté d’aujourd’hui, un magazine qui arrive un peu après la bataille ou plutôt après l’incendie et qui, du coup, est obligé d’en faire plus encore que les autres : « L’âme de la France », voilà ce qu’arbore cette couverture, en montrant Notre-Dame — un titre que l’on aurait adoré au cours du XIXème siècle, avec différents auteurs du psychosociologue Gustave Le Bon, jusqu’au milieu du XXème siècle avec le géographe André Siegfried.

Je dis cela parce que cela fait longtemps que les théories fumeuses d’âme des peuples ont toutes été abandonnées : l’âme du peuple français n’est pas plus dans le clocher de Notre-Dame qu’à Alésia ou au sommet de la colonne de la Bastille, l’âme des peuples est une théorie qui a été abandonnée depuis des décennies au profit d’une vision probablement plus vivante de la société, beaucoup essentialiste, celle défendue par exemple par Renan qui parlait de la nation comme d’un plébiscite de tous les jours. 

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La basilique de Saint-Denis sans argent pour se refaire une beauté

Et il y a quelque chose d’étrange dans cette surenchère de superlatifs, cet exercice hyperbolique relatif à Notre-Dame, comme si l’on voulait se rassurer en se disant qu’il existe un bâtiment au moins où la France entière se retrouve sans même se rendre compte ce qu’il y a de problématique dans le fait que ce soit une cathédrale… Alors inutile même de dire que cette focalisation contredit le principe de laïcité — il suffit par exemple de constater que ce soudain intérêt pour Notre-Dame jure avec les autres édifices religieux en France qui tombent en ruine dans l’indifférence générale…

Notre-Dame n’est pas l’âme de la France, c’est tout simplement le stigmate de la manière dont nous traitons les vieilles pierres. Le New York Times en parle de manière très convaincante : Notre-Dame a brûlé parce que le patrimoine en France n’est pas suffisamment surveillé. Et maintenant que la cathédrale croule sous les millions, il suffit de voir qu’à coté de cette même cathédrale, à une heure en vélo, une basilique n’a toujours pas assez d’argent pour se refaire une beauté, la basilique de Saint-Denis dont la flèche n’est toujours pas remontée. 

Si l’on veut vraiment placer l’âme de la France dans les vieilles pierres, alors situons-la à Saint-Denis, là où la ruine se poursuit sans que personne finalement ne s’en émeuve… 

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