

J'ai demandé à Claude Lévi-Strauss son analyse sur l’attentat perpétré contre le marché de Noël de Strasbourg.
Oui, pourquoi frapper le Père Noël lorsque l’on est un islamiste radicalisé ? Eh bien, peut-être, non pas parce que c’est un symbole religieux, mais parce que c’est un symbole païen. C’est en tout cas la thèse que défend l’anthropologue Claude Lévi-Strauss dans un texte sublime, Le Père Noël supplicié. Pourquoi le Père Noël supplicié ? Parce que le 24 décembre 1951, les autorités ecclésiastiques de Dijon décidèrent de pendre puis de bruler une effigie du Père Noël devant les enfants du patronage, sur le parvis de la cathédrale. Ce fait divers, en hiver, suscita une énorme émotion en France, divisant le pays en deux.
Alors, évidemment, absolument rien à voir avec l’attentat qui vient d’être commis, rien à voir entre un geste allégorique et le terrible assassinat perpétré à Strasbourg. Rien à voir sauf peut-être le symbole. Lévi-Strauss explique que la haine du clergé dijonnais d’alors, vis-à-vis du Père Noël, ne vient pas du fait qu’il symbolise le système marchand, mais tient à ce qu’il incarne le paganisme.
Qu’est-ce qu’une religion païenne ? Eh bien c’est une religion qui prie les morts, tandis qu’une religion moderne ne prie pas les morts, elle prie pour les morts. Le Père Noël nous visite le 24 décembre, à une date proche du solstice d’hiver, la période la plus sombre de l’année, la période où les morts visitent les vivants, et pour chasser les morts, pour que les morts laissent les vivants tranquilles, les sociétés — pratiquement toutes les sociétés — leur font des offrandes. Et ces offrandes aujourd’hui dans notre société passent par les enfants. D’ailleurs, la fête qui précède Noël, la saint Nicolas, est la fête censée ressusciter les enfants morts. C’est cette fête, qui a donné naissance aujourd’hui à Halloween, la fête où les enfants se déguisent en morts pour quêter auprès des adultes, puis Noël où les adultes gâtent les enfants pour exalter leur vitalité.
Frapper Noël, qui existe dans pratiquement toutes les sociétés, c’est viser cette manière païenne de vivre avec les morts. Il faut tuer cette puissance magique qui vient de l’au-delà pour gâter les enfants. Il faut en finir avec ces cadeaux de noël païens, lesquels apportent de la chaleur au cœur de l’hiver, de la chaleur en nous faisant croire que nos enfants ne mourront jamais.
Mais, hélas, ajoute Lévi-Strauss, « les hommes meurent, ils ne reviennent jamais, et tout ordre social se rapproche de la mort, en ce sens qu’il prélève quelque chose contre quoi il ne donne pas d’équivalent ».
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