Shimon Peres, ancien président israélien et Prix Nobel de la Paix est décédé ce matin, à l'âge de 93 ans. Ce matin, Guillaume Erner revient la première fois qu'il l'a rencontré, après la signature des accords d'Oslo.
- Guillaume Erner Docteur en sociologie et producteur des Matins de France Culture
Il y a toujours une première fois, hélas. La première interview que j’ai réalisé hors de France, c’était celle de Shimon Peres. C’était il y a 22 ans, en 1994, lorsque Peres était Ministre des Affaires Etrangères. Un an plus tôt, il venait de se voir décerner le Prix Nobel de la paix avec Rabin et Arafat. Peres était immense et j’étais tout petit. J’avais rendez vous chez lui pendant Shabbat, un samedi matin, autrement dit son dimanche matin. Il avait peu dormi en raison d’incidents à la frontière libanaise. C’était pour moi la première fois des premières fois. Ma première rencontre avec la sécurité car à l’époque en France on ne savait pas ce que c’était. Première visite aussi dans la cuisine de Peres, lui en bras de chemise, sa femme en djellaba, une scène inimaginable avec un ministre français, lequel n’aurait pu me recevoir sans cravate et huissier à chaînes. Peres parlait un français teinté d’un fort accent ashkenaze, une langue que je comprenais parfaitement.
En somme, tout aurait pu bien se passer, mais je sortais d’une lecture mal digérée d’Hannah Arendt et du haut de mes 26 ans, je lui ai demandé en substance comment lui qui se disait socialiste pouvait soutenir un Etat où le mariage civil n’existait pas. En écoutant ma question, le visage de Peres s’est empli de colère et de lassitude, et j’ai compris que j’allais boire mon café brûlant. Peres m’a administré une leçon de sionisme. Avant la Seconde Guerre mondiale, m’a-t-il dit, il y avait deux sortes de juifs, ceux qui cherchaient à sauver l’humanité toute entière, les socialistes, et ceux qui cherchaient à se sauver eux-mêmes, les sionistes. Et quels sont ceux qui ont survécu, me demanda-t-il d’une question qui n’appelait pas de réponse… Le sionisme, c’est la seule réussite du socialisme russe, martelait Shimon Peres. Le kibboutz, les fermes collectives, la construction d’un pays plutôt égalitaire … La création et la re-création d’une culture, ça a échoué en Biélorussie mais cela a réussi en Israël. Evidemment, il reste encore beaucoup de choses à faire, et tout d’abord, la paix avec les arabes. Mais tu vois, a ajouté Peres, me tutoyant comme mon grand-père, je ne sais pas ce que l’on fait avec le pessimisme. Maintenant tu as ton destin en main. "Fais ton alya, deviens israélien" a-t-il asséné en guise de conclusion. J’ai compris qu’il était de prendre congé, inutile de vous dire que cette interview n’a jamais été publiée.
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