Oui, les offrir ou surtout, ne pas les jeter.
Car les suppléments cadeaux des magazines renseigneront beaucoup plus les anthropologues du futur sur notre civilisation que les magazines avec lesquels ils sont vendus.
Et en attendant, ils nous rappellent que nous vivons dans la dernière société primitive au monde, celle qui célèbre des totems et des talismans appelés marques ou montres. Notre société est gouvernée par ce que Marx appelait le fétichisme de la marchandise, car la marchandise, expliquait-il, est « pleine de subtilités métaphysiques et d'arguties théologiques ».
C’est qu’il faut être un grand esprit, frotté au sacré, pour expliquer ce qui distingue Prada de Gucci, Apple de Samsung. Pourquoi, par exemple, peut-on faire la queue pendant des heures pour acquérir un tee shirt avec marqué dessus « Dior j’adore », tandis qu’un Tee Shirt orné d’un slogan comme « Chez Casto, il y a tout ce qui faut » sera observé avec mépris ? ¨Pourquoi préférer Dior à Bricorama, alors que ces deux tee shirt ont la même valeur d’usage ? Notre société n’est pas matérialiste, elle est au contraire spiritualiste : elle confère un esprit aux objets. Les objets nous parlent et nous racontent, la consommation a pris le pas sur la production, c’est désormais le système des objets qui raconte les hommes.
A l’origine, ce sont les magazines qui ont inventé les suppléments cadeaux : logique, l’apparition de ces revues était contemporaine de la célébration collective des objets. C’était dans la France des Trente Glorieuses, à l’époque où l’on nous promettait de vivre comme des dieux. Mieux : comme des cadres. Un temple de la consommation se construisait, sur papier glacé, comme le décrivait Georges Perec dans Les Choses, un livre gouverné par les suppléments cadeaux, sous-titré « une histoire des années soixante ». L’écrivain mettait en scène un couple qui dévorait l’Express, un titre qui « leur offrait tous les signes du confort : les gros peignoirs de bain, les trucs utiles, les plages à la mode ». Avec les suppléments cadeaux des magazines, la littérature est partie, seules les choses sont restées…
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