La fin du superflu,l’avènement de la simplicité volontaire ? La crise du coronavirus a remis notre manière de consommer au cœur des préoccupations.Une partie des citoyens a pris conscience de notre dépendance à certains modes de consommation.Comment l'histoire a-t-elle façonné la société marchande ?
- Anthony Galluzzo Maître de Conférences en Sciences de Gestion à l'université de Saint-Etienne
La vague verte aux municipales emportera-t-elle dans son élan de nouvelles façons de consommer ? Allons-nous consommer moins mais mieux ? Une partie des citoyens a pris conscience de notre dépendance à certains modes de consommation et éprouve le besoin de relocaliser. La crise du coronavirus a précipité les difficultés d’enseignes de prêt-à-porter comme Naf Naf, Celio, André, Camaïeu, tout en accélérant l’ancrage du commerce en ligne dans nos habitudes de consommation. Dans le même temps, cette crise a mis en exergue la vulnérabilité de nos économies occidentales, dépendantes de biens fabriqués à l’autre bout du globe, et ce, de façon extrêmement localisée. Un commerce mondial concentré dans un petit monde de chaînes de valeur. Comment en est-on arrivés là ? Quel type de consommateur l'histoire a-t-elle fait de nous ? Comment nous a-t-elle conduits à être des consommateurs dépendants ?
Guillaume Erner reçoit Anthony Galluzzo, maître de Conférences en Sciences de Gestion à l' université de Saint-Etienne, auteur de “La fabrique du consommateur. Une histoire de la société marchande”, ed. La découverte / collection Zones.
Est-il possible de verdir notre consommation ?
"Je suis assez sceptique par rapport à tous ces débats… pour au moins deux raisons : Tout d’abord on pose le problème de la consommation comme un choix individuel, une agrégation de choix individuels, ce serait le moment de sensibiliser les gens et de les amener à consommer autrement. Or, la consommation doit être pensée dialectiquement avec la production. C’est un projet politique et ça doit se penser politiquement. Ensuite, le fait de consommer mieux, localement, par exemple, ou des produits de meilleure qualité, ou une souveraineté alimentaire, par exemple, ça génère tout un ensemble de reconfigurations et de problèmes économiques et il y a la question des moyens".
Il faut avoir les moyens de consommer mieux, les moyens financiers mais aussi en termes de temps, se dégager du temps pour se former à consommer, comprendre la composition des produits, des chaînes de production. Anthony Galluzzo.
"Ce n’est pas à la portée de tout le monde car il faut avoir les moyens financiers mais aussi le temps de s’y consacrer."
La culture du consommateur
"Elle a été surtout entreprise par les producteurs eux mêmes, les marchands, jusqu’à présent. Elle consiste en un ensemble de thématiques, de slogans, d’associations d’idées qui sont travaillés depuis un siècle et demi par ces marchands."
Vers une évolution des modes de consommation et des types de consommation ?
"Il faut que les crises soient particulièrement brutales pour qu’elles poussent véritablement tout un ensemble de conditions économiques instituées à se reconfigurer…."
La fin de l’autarcie :
"La culture matérielle nous façonne, elle façonne notre compréhension de l’ environnement, du normal, de l’anormal, du beau, du laid… notre regard sur la vie. Ça se voit énormément quand on étudie l’anthropologie historique. Il y a un siècle et demi, les façons de concevoir l’existence, le rapport au temps, à la distance, tout était extrêmement différent. On était face à une immense paysannerie pour reprendre l’expression de Bourdel, c’est-à-dire une humanité à 90/95% paysanne. Une humanité qui s’inscrit alors dans des isolats, des bouts de territoires très enclavés où on travaille la polyculture autarcique, autrement dit, on cultive un peu tout ce dont on a besoin pour survivre. Les échanges marchands, la circulation des marchandises sur des grandes distances, étaient quasiment inexistants et la circulation des marchandises était extrêmement laborieuse."
On peut considérer que la société de consommation naît à partir du moment où l’on désenclave ces bulles autarciques, bulles qui vont s’ouvrir vers le marché (national puis international). Anthony Galluzzo
Jean Baudrillard, les objets et la consommation
"Jean Baudrillard parle du passage du « bibelotage » très caractéristique de la culture matérielle bourgeoise du 19ème siècle (bibelots, broderies, nappes... un bric à brac d’objets) - c’était extrêmement valorisé dans cette culture matérielle - et Baudrillard observe qu’avec le fonctionnalisme, le design, courant milieu du 20ème siècle, on a une évacuation du « bibelotage » (notamment pour des raisons hygiénistes) et il observe que ces bibelot vont être remplacés par des gadgets, de la technologie dont la fonction n’est pas seulement utilitaire mais celle d’une valeur signe : je ne présente plus mon appartenance à la classe supérieure par la présence de telle vase ou tel objet précieux, mais je vais la montrer par la surtechnologisation de mon intérieur, par un ensemble de technologies qui vont signifier le confort domestique."
La consommation bourgeoise, ses valeurs, ses signes
Le code a changé mais l’existence d’une grammaire reste : on est des êtres sociaux et on se met en scène par rapport à des signes. Anthony Galluzzo.
"Ces signes évoluent parce qu’à force d’être utilisés par les uns et les autres, leur sens évolue. Donc ce qui est valorisant à un moment (porter tel objet de telle façon) devient dévalorisé et vulgaire à un autre moment, à mesure que ça se diffuse dans le corps social. Tout ça, ce sont des fondamentaux qui n’ont pas évolué depuis le 19ème siècle et qui sont centraux depuis qu’on est dans une société bourgeoise… c’est-à-dire non pas une société d’ordre où vous êtes le fils de quelqu’un mais dans une société libérale, une société de marché, un monde ouvert où vous allez pouvoir circuler dans l’espace social. D’où l’importance de se montrer, d’apparaître, de se mettre en scène par rapport à des vêtements, une façon de se mouvoir…
Il y a une possibilité de se réinventer qui est typique de la société moderne et qui est véritablement au fondement de nos rapports sociaux aujourd’hui. Anthony Galluzzo.
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