Ecologie politique : des idées, et après ?

Comment trouver un chemin pratique pour l'écologie ?
Comment trouver un chemin pratique pour l'écologie ? ©Getty
Comment trouver un chemin pratique pour l'écologie ? ©Getty
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Si l'écologie semble gagner de la place dans la pensée politique, reste l'inévitable question de l'application concrète des principes qu'elle avance. Le philosophe Pierre Charbonnier, suivi par Nathan Métenier, membre du Youth Environment Europe nous apportent quelques éclaircissements.

Avec
  • Nathan Méténier Porte-parole de Youth and environment Europe, Co président de la pré cop 26 à Milan
  • Pierre Charbonnier Philosophe, chercheur à Sciences-po

Si l'écologie est dans son essence même complexe, il est néanmoins clair que d'une part, sont les idées, de plus en plus formulées et affirmées en France, et d'autre part est la nécessité urgente de les mettre en application concrète. D'une part, "il y a ce souci écologique à la source d'une révolution intellectuelle française", c'est ce qu'écrivait récemment Le Monde. Au plus fort de la crise sanitaire, nombreux sont les philosophes et anthropologues sollicités pour tenter d'imaginer ce que l'on a pu appeler et souhaiter "monde d'après". D'autre part, le plan de relance économique attendu pour la rentrée de la part du gouvernement inclut l'écologie comme un levier de croissance. Il s'agirait de "cette écologie qui crée de la richesse, qui est un projet d'amélioration de la qualité de vie, de notre performance économique et évidemment, de notre souveraineté" précisait dans une tribune récente le premier ministre Jean Castex. Comment l'activité intellectuelle, mais aussi citoyenne (notamment avec la Convention citoyenne sur le climat, dont 146 propositions sur 150 ont été retenues par Emmanuel Macron) peut-elle réellement entraîner des changements de modèle politique ? 

C'est entre autres à cette question que tente de répondre Pierre Charbonnier, chercheur au CNRS et philosophe dans son livre Abondance et liberté, une histoire environnementale des idées politiques paru en janvier 2020 aux Editions de la Découverte. 

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L'écart entre le recul des sciences sociales et l'immédiateté de la vie politique est aujourd'hui fabuleux. Nous essayons de mettre en jeu des rapports sociaux à la nature, aux ressources, au territoire, mais aussi et surtout à l'avenir. Cela nous oblige à dénaturaliser les habitudes, à les déconstruire, alors que la vie politique est prise à la fois dans l'immédiateté et dans des architectures de décisions qui regorgent d'inertie. On ne peut pas lui demander d'absorber d'un coup les sciences sociales, mais on peut identifier le fossé et essayer de rejoindre, par les instruments d'analyse des sciences et de la philosophie, ce qui relève de la pratique. On en est, malheureusement, encore loin. Pierre Charbonnier

Quelle souveraineté écologique ?

"La reconstruction économique, écologique et solidaire sera la clé de notre indépendance" disait Emmanuel Macron en juin 2020. Cette indépendance présentée comme une liberté qui augmente avec la productivité, c'est le pacte socio-politique que Pierre Charbonnier décrit dans son livre et qui, selon lui, arrive droit dans une impasse. 

Il y a en effet un reflux du discours de la souveraineté, mais en un sens totalement dégradé. Cela veut simplement dire : développer une économie verte nationale qui permettrait de maintenir la croissance de l'économie de cette entité géopolitique qu'est la France (et donc, fatalement, au détriment des autres). En réalité, la souveraineté consiste en ce que l'on fait pour contrôler un destin collectif. Que signifie donc, par exemple, la souveraineté alimentaire ? Une grosse agro-industrie nationale qui se protège des abus du commerce international, ou bien rendre au collectif des producteurs agraires les moyens de travailler dignement ? Cette dernière interprétation correspond à la définition originale de la souveraineté alimentaire, où il ne s'agit pas de protectionnisme. La souveraineté comme autonomie au sein de nos frontières est une absurdité pour la France : elle explose ses frontières, par exemple, en important du soja brésilien pour produire de la viande. On se plaint des agissements du président brésilien Bolsonaro, mais nous le mettons au pouvoir du fait de notre consommation et de notre commerce avec son pays. En fait, nous consommons des territoires sur lesquels nous ne vivons pas. Il en va de même pour les énergies, l'essence que l'on met dans nos voitures, tout cela n'est pas produit localement. Il y a des liens internationaux à renégocier. Le discours de la fierté nationale, d'une économie verte bien de chez nous, est largement en trompe-l’œil. Pierre Charbonnier

Logique de marché et soutien du collectif : directions contraires

Les discours du gouvernement insistent sur l'indépendance probablement car la crise sanitaire à mis en lumière les rapports de dépendances (concernant, par exemple, les masques) de la France avec l'international. Cependant, le philosophe estime que la crise sanitaire a avant tout révélé un manque d'investissement dans le soin, dans la recherche d'une liberté gagée sur l'entretien des grandes infrastructures au lieu d'une liberté gagée sur l'abondance. 

"Ce qui nous fait tenir comme collectif, la justice, le soin, la transmission des savoirs, est sujet aujourd'hui aux plus grands désinvestissements de la part de la puissance publique. La logique de la rationalité de marché ne parvient pas à orienter les flux de capitaux dans cette direction, car la justice, l'école, la recherche et la santé, ça ne produit pas. Selon le lexique économique classique, ça ne produit pas de valeur, ni de profit. Pourtant, c'est bien ce dont nous sommes le plus tributaires. Pierre Charbonnier

L'espoir de l'écologie repose sur l'alignement des intérêts 

Dans Abondance et liberté, le jeune chercheur place ses espoirs dans un alignement des intérêts de différents groupes sociaux : ceux qui expérimentent de nouveaux rapports à la terre à Notre-Dame-des-Landes, le peuple en gilets jaunes et ses fortes demandes de justice sociale, et le peuple des élites qui comprend progressivement que le modèle économique n'est plus viable. La crise sanitaire, en ce qu'elle transcende les groupes et leurs intérêts contingents, peut-elle être un moment propice pour cet alignement ?

Les conditions pour que des passerelles existent entre le monde des idées et le monde de l'action politique ne sont pas encore réunies. Il est devenu extrêmement difficile de montrer que notre société est traversée par des pathologies profondes. Pour le faire, il faut transformer l'image que l'on a de notre passé, de notre avenir, de la façon dont on est gouverné. Par exemple, on continue de considérer notre futur comme totalement tributaire de la croissance, alors que ce raisonnement ne fonctionne plus. Ce que le gouvernement formule comme un retour en arrière qui rendrait impossible le financement de notre modèle social. Il est difficile de proposer dans l'espace public une réflexion sur la manière de produire un avenir raisonnablement désirable. On rencontre des résistances importantes, particulièrement sur les sujets de justice sociale, mais aussi les écologistes, des résistances qui peuvent aller jusqu'à des accusations selon lesquelles ces discours mènent à une polarisation de la société. Il y a un déficit de recul critique et de réflexivité. Là, nous sommes à France Culture, nous arrivons à le faire sans obstacle majeur, mais ce n'est pas si courant dans la société. Pierre Charbonnier

La croissance : un concept aussi abstrait que tenace

Le mouvement des gilets jaunes avait été initié par des réactions à la taxe sur les carburants, une opposition entre impératifs environnementaux et modalités économiques à laquelle le premier ministre fait référence lorsqu'il dit croire en une écologie "qui ne nous appauvrit pas". Mais recourir à une formulation de l'écologie qui met principalement en avant le fait de ne pas menacer pas le mode de vie des plus modestes, c'est faire l'impasse sur un problème de transfert de richesses nécessaire pour réaliser les investissement qui permettront, par exemple, à la France de réduire sa facture énergétique. Pour Pierre Charbonnier, la situation correspond à "un bras de fer, qui est simple, mais loin d'être terminé". De même pour l'opposition croissance-décroissance. 

"La décroissance continue de fétichiser la croissance en cherchant à l'éviter à tout prix. Il faut plutôt être indifférent à l'égard de la croissance. Quand une catastrophe naturelle survient, des réparations et des mécanismes d'assurance suivent, et ça c'est la croissance. Détruire puis reconstituer du capital humaine et naturel génère en effet de l'activité, et cela rentre dans le bilan final. Le concept de croissance est d'un très haut niveau d'abstraction, il ne peut pas rendre visible la valeur d'usage des relations fonctionnelles qui font l'économie. Pierre Charbonnier

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