

Une abstention massive, un parti présidentiel peu implanté, une petite performance du Rassemblement national, des sortants souvent reconduits... Les questions après ces régionales sont multiples. Mais surtout : indiquent-elles un désamour des citoyens pour leurs institutions politiques ?
- Raphaël Challier doctorant en sociologie à l’université Paris-8 et membre du laboratoire Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris,auteur d’une enquête de terrain sur les "gilets jaunes" en Lorraine
- Frédéric Says journaliste à la rédaction internationale de Radio France
- Jean Garrigues historien, président du comité d'histoire parlementaire, membre de la commission "Les lumières à l'ère numérique"
- Stéphane Robert Chef du service politique de la rédaction de France Culture
Un parti présidentiel qui apparaît comme affaibli et peu implanté, une extrême-droite qui reste sur sa faim, et un clivage droite-gauche finalement structurant alors qu’on le croyait dépassé. Les leçons à tirer de ces régionales sont nombreuses, d’autant plus qu’elles peuvent avoir une influence sur les prochaines élections présidentielles. À droite, Xavier Bertrand, réélu dans les Hauts-de-France a lancé suite à sa victoire : « Ce résultat me donne la force d’aller à la rencontre de tous les Français ». La gauche, elle, vérifie que si elle n’est pas gage de victoire, la stratégie d’union lui réussit plutôt bien.
Ce scrutin restera marqué par un taux d’abstention record lors des deux tours. Depuis deux décennies, la classe politique s’alarme d’une désaffection qui ne fait que se confirmer, d’élection en élection. « Une démocratie sans électeur n’est pas une démocratie », a souligné le chef de file de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon.
Pour certains, les manœuvres politiques des directions partisanes sont venues polluer le caractère local de ces dernières élections. La sécurité s’est ainsi imposée comme un sujet majeur des débats, alors même que les régions n’ont pas ou peu de compétences en la matière.
Les résultats de ces régionales soulèvent alors des questions profondes liées à la force des partis dans le pays, et à l’intérêt des citoyens pour leurs institutions politiques.
Les raisons de l'abstention
Jean Guarrigues propose des raisons conjoncturelles à cette abstention massive. Selon lui, cette déprise des citoyens est liée à une campagne dominée par des thèmes hors-sol, comme la sécurité, qui n’est pas dans la prérogative des régions. Il existe également des explications structurelles, comme le manque d'intérêt des citoyens pour des élections intermédiaires, dans un État très centré autour de la figure du Président.
Il y a un manque de pédagogie sur le pouvoir des régions et des départements. Il y a aussi des déficits sur le vote, comme le vote par correspondance qui existe en Allemagne, l’étalement du vote sur trois jours comme aux Pays-Bas, ou le vote numérique, qui auraient pu pallier des manques. Jean Guarrigues
Il y a aussi des problèmes hyper structurels, qui tiennent au désenchantement des citoyens par rapport à l’offre politique et à la protestation récurrente, même cette dernière ne représente que 25% de l’abstention. Ce qui m’intéresse, ceux sont les 20% qui disent avoir mieux à faire et ceux qui disent que l’offre politique ne leur correspond pas. Il y a une désaffection qui tient à la crise de la démocratie, à une sorte d’usure démocratique, voire à une paresse citoyenne. Il faut se poser des questions sur la pédagogie de l’acte du vote et se demander à quoi ça sert. Jean Guarrigues
Un nouveau rapport à la politique ?
Stéphane Robert rappelle que l'abstention aux élections régionales est un phénomène structurel, en 2015 déjà, le taux de participation ne dépassait pas 50%. Selon lui, il s'agit d'une "fracture générationnelle" .
Sur la démobilisation des citoyens, il faut voir le vote des personnes âgées qui est assez massif puisqu’on a 68% de participation alors que les jeunes de 18-25 ans sont à 21% et 25% pour les 25-34 ans. Donc les personnes âgées continuent à faire fonctionner la machine démocratique et des jeunes qui s’y intéressent différemment, de manière plus fugace et ponctuelle qu’avant. Il y a quelque chose qui change et qui créée une fracture générationnelle. Stéphane Robert
Un problème de l'offre politique
Raphaël Challier lit dans cette abstentionnisme un problème de l'offre politique proposée par les partis. La responsabilité ne tient pas tant dans les citoyens qu'à l'incapacité des partis politiques à mobiliser.
1% des citoyens en âge de voter s’engage dans un parti. Pour moi le problème est aussi du côté de l’offre, les partis peinent à mobiliser. Sur le temps long, la France n’a jamais été une terre d’élections pour les partis politiques. Il y a une faiblesse structurelle pour les partis en France, même historiquement, dans l’après-guerre c’était déjà le cas par rapport aux autres États européens. Raphaël Challier
Il y a un turn-over des personnes qui s’engagent et qui repartent déçus, des militants du Rassemblement national par exemple, qui se rendent compte que le parti n’est pas si anti-système et qui se retrouvent au Parti communiste. Dans l’ensemble, il y a la constatation que les partis sont déconnectés des « vrais gens ». Raphaël Challier
Dans l’expérience des militants de terrain, il y a la conscience de l’hostilité envers les responsables politiques de tous bord. Le moteur le plus radical c’est les gilets jaunes, un milieu composite, entre droite et gauche, classe moyenne ou très précaire. Le politicien est devenu la figure de l’élite. Il y a « nous » les gens d’en bas et le politicien est l’archétype de ceux d’en haut. Raphaël Challier
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