Pierre Birnbaum : "Le déclin de l'Etat nation fait resurgir le nationalisme"

Pierre Birnbaum est historien et sociologue, professeur émérite de sociologie politique à l'université de Paris et à Sciences po, et spécialiste du nationalisme en France. Son dernier ouvrage est une conversation avec Régis Meyran parue aux éditions Textuel et qui s'intitule La tentation nationaliste.

Comment Pierre Birnbaum interprète-t-il les résultats du premier tour de l'élection présidentielle, le fait que 30% de l'électorat se reconnaisse aujourd'hui dans une vision nationaliste, et que pour la troisième fois le Front national, aujourd'hui Rassemblement national, accède à un deuxième tour en vingt ans ?

La déconstruction de l'État nation

"Il y a une remise en question du modèle français construit sur le très long terme, un modèle fondé sur un espace public commun où tous, quelles que soient leurs origines et leurs valeurs, participent." Pour quelles raisons ce modèle a-t-il perdu de sa légitimité ? "Les raisons sont sûrement multiples. Le libéralisme économique, les inégalités sociales, la remise en question de l'image de l'hexagone qui donne à la nation son socle, certainement le fait que l'État est délégitimé dans sa puissance et que les citoyens se raccrochent moins à sa puissance. Tout cela crée une sorte de retrait vers l'espace privé".

Pour Pierre Birnbaum, la démocratie a besoin de grandes forces politiques structurées. Or, "il y a une perte du sentiment d'appartenir à un ensemble structuré. C'est une dimension importante du ressentiment des citoyens"

Le nationalisme, éclairages historiques

Le Rassemblement national est le produit d'une longue histoire antérieure : "Il vient du nationalisme ethnique, l'idée contre révolutionnaire qui s'oppose à l'idée d'un espace public partagé, et qui entend l'aménager à partir d'une conception de la nation qui relève précisément d'une dimension ethnique et s'oppose au nationalisme civique."

"La remise en question du droit du sol proposée dans le programme de Marine Le Pen n'a jamais eu lieu historiquement en France, y compris sous Vichy"

Enfin, si "populisme et nationalisme se confondent souvent", ils sont bien différents : "Le populisme, c'est une remise en question à travers une idéologie radicale de ceux qui gouvernent, de la "caste", de ceux qui mobiliseraient le pouvoir et seraient détachés du peuple. Le populisme a une longue histoire en France, irrigue de nombreux partis des deux côtés de l'échiquier politique. Le nationalisme n'est pas forcément populiste. C'est un mouvement qui au nom d'une identité du groupe se construit contre une nation étrangère, et requiert le passage à la guerre ou à la lutte contre un ennemi."

Pour aller plus loin :

La tentation nationaliste, Pierre Birnbaum, Textuel, mars 2022

Les larmes de l’histoire, de Kichinev à Pittsburgh, Pierre Birnbaum, Gallimard, janvier 2022