Pour la première fois cette année, le temps de sommeil moyen des Français est passé sous la barre symbolique des 7 heures. Et le contexte sanitaire de l’année 2020 ne semble pas être vecteur d’une amélioration. A quoi est due la fatigue de notre époque ?
- Georges Vigarello Historien, philosophe, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Pénibilité, charge mentale, stress … voici tout un champ lexical passé aujourd’hui dans le langage courant. Et pour cause, en 2017, plus d’un tiers des salariés déclarent avoir déjà fait un burn-out. Entre des temps de travail allongés, la multiplication du temps passé devant un écran ou l'épuisement lié à la gestion des tâches domestiques, les motifs qui entraînent la fatigue ne manquent pas. Au point qu’elle est désormais un fait global faisant partie de la condition humaine : à la fois invisible mais omniprésente. Comment la fatigue a-t-elle évoluée et comment s’est-elle façonnée au cours du temps ? Doit-on prendre la fatigue comme un problème majeur du XXIe siècle ?
Pour en parler ce matin sans manquer d’énergie, Georges Vigarello, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur de “Histoire de la fatigue : du Moyen-Âge à nos jours” (Seuil, 2020) est l’invité des Matins.
La fatigue, grande oubliée de l'histoire
" La situation actuelle est particulièrement révélatrice de questions portant sur la fatigue. Premièrement, il s’agit d’un phénomène de peur. Mais il y a aussi deux autres phénomènes. Dune part, le Covid crée de l’incertitude sur le futur mais aussi sur l’espace. Il y a quelque chose qui accroît l’inconfort."
La fatigue renvoie à ce que je considère personnellement comme étant le cœur de problèmes anthropologiques. C'est une limite de l'humain. Exactement comme la maladie ou la mort est une limite de l'humain. Et je suis très surpris en travaillant sur cet objet et de voir que finalement, il n'a pas tellement été travaillé dans l'histoire. Georges Vigarello
" L’histoire de la fatigue renvoie à une histoire de notre propre conscience, à la façon dont nous éprouvons et dans notre conscience, s'approfondit et se complexifie."
D'une fatigue physique au surmenage
La première référence historique à la fatigue est celle qui porte sur la marque que cette fatigue laisse sur le corps, avec comme remarque subsidiaire, le fait que les individus en parlent peu. Dans les époques très éloignées, vous avez peu de témoignages sur ce qui a été prouvé. Le trajet historique va montrer que l'éprouver va prendre de l'importance. Donc, ça va très loin, cette idée selon laquelle c'est le physique qui l'emporte. Georges Vigarello
"Le surmenage, c'est le fait d'être confronté à l'impossible en termes d'information et de faire. La situation de la guerre de 14, c'est d'être confronté à une soumission. A quelque chose qui, non seulement nous désapproprie, mais nous empêche de faire ce que nous souhaitons. Ça, c'est neuf et je pense que nous sommes les enfants de cette situation."
Je conduis à une conclusion que l'on peut bien entendu discuter, mais qui me paraît très importante. La prise de conscience de la fatigue s'est étendue considérablement dans le temps et elle est devenue majeure aujourd'hui. Et en même temps, cette prise de conscience renvoie au fait que la fatigue n'est pas forcément soluble. Dire qu'elle est de plus en plus présente. Et ce qui ne veut pas dire que l'on puisse surmonter le travail, c'est à mon sens une négociation à l'égard de cette fatigue. Georges Vigarello
Vous pouvez (ré)écouter l'interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Collaboration
- Production déléguée
- Réalisation
- Collaboration