2020 : la jeunesse impossible ? avec Yaëlle Amsellem-Mainguy, Mélanie Luce et Celia Levi

La rentrée étudiante 2020 s'annonce comme l'une des pires selon l'UNEF.
La rentrée étudiante 2020 s'annonce comme l'une des pires selon l'UNEF.  ©Getty -  Smiljana ALEKSIC
La rentrée étudiante 2020 s'annonce comme l'une des pires selon l'UNEF. ©Getty - Smiljana ALEKSIC
La rentrée étudiante 2020 s'annonce comme l'une des pires selon l'UNEF. ©Getty - Smiljana ALEKSIC
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Peut-on encore être jeune en 2020 ? D'après l'UNEF, "une des pires rentrées" attend les 2 783 000 étudiants qui reprendront les cours cette année en France.

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Etablissements fermés, cours à distance, soirées d’intégration annulées, vie sociale inexistante sur les campus…voilà en partie ce qui attend les 2 783 000 étudiants de cette rentrée 2020. La précarité étudiante, qui était déjà au centre des préoccupations avant le confinement, risque de progresser d’autant plus avec la crise du coronavirus. 

Alors quelles conditions pour cette rentrée universitaire hors-normes ? Peut-on parler d’une "génération Covid" ? Etre jeune, avec tout ce que cet âge suppose, est-il désormais impossible ? 

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Ce matin, nous sommes en compagnie de Yaëlle Amsellem-Mainguy, sociologue à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), co-autrice avec Arthur Vuattoux du livre Les jeunes, la sexualité et Internet, publié en 2020 aux éditions François Bourin, ainsi que Mélanie Luce, présidente du syndicat étudiant UNEF. Elles seront rejointes en deuxième partie par l’écrivaine Celia Levi, dont le quatrième roman La Tannerie vient de paraître aux éditionsTristram et figure parmi la sélection du prix étudiant France Culture-Télérama. 

Yaëlle Amsellem-Mainguy 

"La question du chômage des jeunes se pose depuis une quarantaine d’années. Mais la crise va tendre toutes les perspectives des jeunes à s’insérer dans le monde du travail. Cela va être plus difficile pour eux que pour les générations précédentes. (...) La question du chômage partiel touche finalement peu les jeunes puisqu’ils sont  avant tout dans des emplois précaires, en intérim, dans des petits boulots au black, ou encore auto-entrepreneurs, donc autant de situations où il n’y a pas de chômage partiel et donc pas de filet. Et pour ces jeunes c’est une rentrée qui se passe sans filet et qui va vraiment tendre sur la solidarité familiale ou sur les réseaux, les relations, ce qui va amplifier les inégalités dans la génération.  "

Ce que l’on voit avec le Covid, c’est que chacune des universités a une politique qui lui est propre. On a tous vu des photos d’amphis saturés d’étudiants comme à toutes les rentrées finalement, sauf que cette rentrée est particulière, ce qui pose la question de la capacité de ces universités à pouvoir accueillir tous ces jeunes qui veulent faire des études, parce qu'en France, le poids du diplôme reste essentiel dans la possibilité de s’insérer dans la vie professionnelle et reste la clé d’entrée dans la carrière, puisqu’on sait que la carrière va entrer par le premier salaire et le premier salaire va conditionner les suivants. 

"On voit que l’abstention des jeunes est moins une indifférence vis-à-vis de la politique qu'un message adressé aux élus. La participation des jeunes va être observée sur une extension des répertoires d’actions citoyennes.  Cela se cristallise moins sur des élections que sur de nombreuses manières de s’investir dans la société. Y compris par des actions militantes, politiques et donc ils vont trouver d’autres moyens de se faire entendre que par des moyens classiques comme les partis." 

Mélanie Luce : 

"L’impression qui ressort chez les étudiants, c'est que c'est une rentrée pas bien préparée, non par les établissements mais par le gouvernement. Les conditions de la rentrée sont très hétérogènes, en fonction des universités. Il n’y a pas eu de grandes sorties médiatiques sur cette rentrée. Juste une circulaire pour dire de "porter le masque et respecter les gestes barrières si possible". Mais c’est impossible pour les universités. "

Les étudiants sont encore plus nombreux cette année, du fait du taux de réussite au baccalauréat, mais également du fait d’une croissance démographique. Or, il n’y a pas de moyens qui ont été mis sur les universités pour accueillir plus de monde, il y a des places qui ont été créées mais qui ne compensent en aucun cas le déficit qu’on a dans l’enseignement supérieur depuis des années. 

"Les cours à distance posent la question de la fracture numérique. En fonction des établissements, pendant le confinement, on a 10 à 20% d'étudiants qui n’ont pas d’accès à un ordinateur, ni à une connexion Internet. Ça veut dire que tous ces étudiants n’auront pas les mêmes conditions d’études. Sans compter ceux qui n’ont pas l’environnement de travail adapté. Cela renforce les inégalités sociales et pédagogiquement c’est très difficile. Commencer ses études à distance c’est encore pire, surtout pour créer du lien social."

Celia Levi :

"Dans mon roman, c’est une jeunesse relative. Les jeunes dépeints ont entre 25 et 35 ans, c’est aussi une nouvelle acception du mot jeunesse, c’est plus lié à un mode de vie qu’à une tranche d’âge, à la précarité notamment. Jeanne, mon héroïne est assez représentative de certains questionnements contemporains, de trouver un CDI et de vivre, c’est un peu un MacGuffin dans le roman.. Le personnage est animé par un désir qu’elle ne dit pas - car c’est difficile de le dire - qui est de vivre. Mais que signifie vivre aujourd’hui ? "

Le mode de vie que mon héroïne embrasse est un mode de vie assez frivole. Une forme de savoir-vivre qui a un coût et qui est dans l’apparence. C’est une jeunesse qui, pour reprendre Robert Musil dans L’Homme sans qualités, qui vit "pour quelque chose" et non pas "dans quelque chose".  "Pour" c’est un ersatz de vivre "dans". On ne désire plus l’aboutissement de quelque chose mais on désire le désir d’aboutissement de cette chose. Mes personnages ne sont plus en quête d’absolu. Les jeunes qui ont encore un absolu dans mon roman sont ceux des manifestations. 

"Prendre un personnage qui vient d’un milieu modeste me permet de faire en sorte que la dénonciation éclate à bas bruit, et que l’absurdité de certaines choses ressorte de façon plus éclatante. Ça me permet de prendre les choses de biais. C’est aussi la représentation que le personnage se fait des choses et qui n’est pas forcément la réalité. "

A partir du moment où l’idée d’individus et celle d’héroïsme meurt, il y a peut-être de la place pour la force collective et le mouvement collectif sans chef. En matière d’éducation sentimentale, le constat pour cette jeunesse est un peu plus désespérant. 

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