Combats en tous genres. Judith Butler est l’invitée des Matins

Judith Butler (2018)
Judith Butler (2018) ©Getty -  SOPA Images
Judith Butler (2018) ©Getty - SOPA Images
Judith Butler (2018) ©Getty - SOPA Images
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16 ans après la traduction en France de son ouvrage clé « Trouble dans le genre », sa pensée est toujours aussi présente dans les revendications, du mouvement féministe à la woke culture, en passant par la lutte contre les inégalités.

Ses réflexions autour de la distinction entre “Le Vivable et l’invivable” (conversation avec Frédéric Worms, Puf, 2021) mettent à jour son travail autour des inégalités de genre mais aussi sociales et économiques. Autant de sources de précarité qui découlent des normes et valeurs traditionnelles qui s’imposent aux individus, au risque de l’exclusion. Pour Judith Butler, une existence vivable exige « une égalité radicale entre les vivants humains, qui se traduit par un effort démocratique pour assurer à chacun les conditions d’une vie vivable, sans se prononcer sur la forme concrète que cette vie prendra. »

Judith Butler est professeure titulaire de la chaire Maxine Elliott dans le département de littérature comparée de l’université de Californie à Berkeley. Elle enseigne également à l’European Graduate School à Saas-Fee, où elle est titulaire de la chaire Hannah Arendt.

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Auteure de “Le vivable et l’invivable” conversation avec Frédéric Worms, Puf, 2021.

Qu'est-ce qu'une vie vivable ?

Pour aborder la question des limites d'une existence vivable ou invivable, il faut d'abord se poser la questions des conditions de vie qui permettent cette existence vivable.

Condition sociale, culturelle, aide médicale, juridique, structure de soutien, accès à la nourriture… une vie n’est pas vivable si  toutes ces conditions ne sont pas réunies, quand il n’y a pas de soutien à la vie. 

Quand on y réfléchit, certaines vies sont considérées comme des vies dignes, avec de la valeur, du mérite alors que d’autres sont laissées à l’abandon, ne sont plus considérées comme telles.  Quand on pense aux migrants qui traversent la Méditerranée, qu’on renvoie chez eux et qu’on laisse mourir en mer, on est obligé de se demander : comment considère-t-on leur vie ? 

Les effets de la pandémie

La pandémie a accentué des inégalités, rendu plus difficile l'émergence de conditions pour  une existence vivable. 

Je pense que nous pouvons constater que tout le monde n’a pas accès aux vaccins, ça nous dit quelque chose sur la valeur de la vie des gens, entre ceux qui ont accès à la richesse et aux réserves de vaccins et ceux qui n’en ont pas. 

Par ailleurs, le contexte de la crise sanitaire a aussi vu apparaître de nouvelles formes de solidarité. Pourtant, elles s'accompagnent d'effets négatifs selon Judith Butler.

Nous avons vu les communautés et les quartiers s’entraider pendant cette période, il y a maintenant des sociétés d’entraide, des sociétés qui ont émergé sous de nouvelles formes. Ces réseaux informels de soin ont eu une grande importance. Dans le même temps, je ne pense pas que les gouvernement ne doivent pas apporter d’aides, que cela ne relèverait que des cultures locales. 

Le problème des réseaux locaux et qu’ils prennent à charge des soins et en décharge le gouvernement qui devrait donner un toit et des soins à la population. Nous devrions avoir une présence forte des réseaux de soin dans le monde et pas seulement au niveau local.     

Pas une mais des théories du genre

Judith Butler refuse de parler d'une théorie du genre, car il existe selon elle une multitude de manière de penser le genre. 

Il y a l’analyse intersectionnelle, une lecture psycho-analytique, marxiste et différentes approches dans l’historie et la littérature. Quand on parle de théorie du genre c’est un terme pour ceux qui ne considèrent pas ces recherches et les réduisent à quelque chose qu’ils n’ont pas envie de lire. Ce terme reflète quelqu’un d’anti-intellectuel qui refuse de s’intéresser, c’est une forme de disqualification. La première chose qu’il faut comprendre c’est qu’il y a plusieurs approches du genre et pas une seule théorie du genre. 

J’imagine qu’on peut dire que je défends l’idée que le genre est une construction sociale mais il y a beaucoup de débats sur ce que signifie la construction sociale. Ça peut signifier que c’est faux, artificielle, une sorte de fiction, mais en fait ce n’est pas ce que je voulais dire. Je voulais dire que les normes qui nous régissent dans la société sont en réalité très profondes, qu’elles commencent dès la naissance, voire avant. Les gens ont déjà des attentes genrées vis-à-vis de nous avant que nous ne naissions, et ces normes sont répliquées dans la société et subissent des évolutions. 

Mais ces normes ne sont pas fausses, elles nous aident à organiser nos vies et à comprendre notre vécu. Dire que le genre est orchestré par les normes sociales n’est pas un point de controverse. 

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