Hier soir, Emmanuel Macron demandait au gouvernement de préparer une stratégie pour prendre en compte les conséquences psychologiques de la pandémie et des différents confinements. Comment dépasser l’angoisse qui entoure cette période ?
- Serge Hefez Psychiatre psychanalyste
Voilà bientôt un mois que la France a retrouvé le rythme du confinement. Un mois que le pays est plongé dans l’incertitude quant à la sortie de cette période. Et le doute s’installe dans les têtes. La semaine dernière, le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, rapportait une multiplication par deux de la proportion de personnes concernées par la présence de troubles dépressifs durant les deux derniers mois. Si la crise sanitaire et économique est une explication à l’augmentation de ces données, que doit faire le gouvernement pour éviter que ces indicateurs s’installent durablement en France, une fois la crise derrière nous ?
Pour en parler ce matin, Guillaume Erner est en compagnie de Serge Hefez, psychiatre au groupe hospitalier universitaire Sainte-Anne et à l'hôpital de la Salpêtrière
Une négligence gouvernementale des sévices psychologiques d'une telle période ?
"Je partage cette vision anti-dépressive. Emmanuel Macron a essayé de redonner de l’optimisme, de relier les gens les uns avec les autres et c’est son rôle. Je pense qu’il n’a pas pris exactement la mesure de l’état psychique des Français à l’heure actuelle, de l’état d’angoisse dans lequel une grande partie des Français se trouvent. Il a pris résolument cette position que tout va aller mieux."
Il apparaît clairement que nous rentrons dans une ère de vie anormale qui s’installe sur le long terme. Il y a un réaménagement à faire et à opérer. Le premier confinement n’avait pas entraîné ce type de réaménagement. Nous étions dans un traumatisme à court terme. Là, nous voyons un tunnel très long qui s’étire devant nous avec une petite lumière qui est le vaccin. Mais c’est intéressant de voir que 1 Français sur 2 est méfiant face au vaccin. On s’installe à moyen terme dans des périodes d'angoisse, de dépression et de fatigue. Serge Hefez
Quel est l'état de la santé mentale en France ?
Cette histoire nous rappelle finalement le tragique ordinaire de notre humanité. On a peut-être trop longtemps voulu voir l’être humain toujours heureux, en perfection avec une vie totalement épanouie et une dimension de la mort qui est évacuée de son esprit. Mais tous les indicateurs alertent les psychiatres. Il y a aujourd’hui un délabrement psychologique et psychiatrique dans la population. Les chiffres de la dépression, de la consommation des antidépresseurs et des anxiolytiques ou encore les chiffres quant aux tentatives de suicides sont extrêmement inquiétants et les solutions apportées à cela sont très pauvres. (Serge Hefez)
Des maux qui dépassent la peur du virus
"Les patients parlent d’une inquiétude qui dépasse largement le cadre du virus et de la peur d’être malade. Il y a un sentiment de délitement du tissu social auquel nous participons. Il y a l’idée que nous ne sommes plus portés par une société et des valeurs communes et le fait que nous partageons un sort commun avec les autres. On a le sentiment que tout le monde est dressé les uns contre les autres. Il y a quelque chose dans ce que provoque le virus qui n’est plus du tout égalitaire." (Serge Hefez)
Le principal symptôme que je vois dans mon cabinet au-delà de l’anxiété, de la dépression ou de la paranoïa ordinaire c’est l’effet d’une sidération. Les gens n’arrivent plus à penser, comme si l’esprit était gelé.
La santé mentale, parent pauvre de la médecine française
"Il y a la psychiatrie et la maladie psychiatrique. Il n’y a pas de discontinuité entre la santé mentale ordinaire et la psychiatrie. Tout ça, c’est un continuum. On voit aujourd’hui que les gens basculent dans la maladie, dans la dépression. Une fois que l’on bascule dans la dépression, les bons conseils ne servent plus à rien, on a besoin d’être soigné." (Serge Hefez)
Nous sommes en train de payer les pots cassés du fait qu’en France, la santé mentale et la psychiatrie sont devenues les parents pauvres de la médecine. Ce n’est plus du tout la même situation qu’il y a une quarantaine d’années où les choses étaient florissantes. Il y avait un champ de recherche absolument extraordinaire et des moyens pour prendre en main la santé mentale des Français. Bien avant l’épidémie, les délais d’attente sont passés de 6 à 18 mois en quelques années dans les centres médicaux psychologique de secteur.
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Et pour écouter la première partie de l'émission consacrée à la remise au centre du débat de la question migratoire en France en compagnie de François Héran, vous pouvez cliquer ici.
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