

Le directeur de Sciences Po a annoncé sa décision par le biais d’une lettre adressée à la communauté éducative et étudiante de l’école.
- Ariane Chemin écrivain, grand reporter au Monde
Cette démission intervient alors que les étudiants de l'école reprochaient à leur directeur d'avoir nié être au courant des accusations d’inceste pesant sur le constitutionnaliste Olivier Duhamel, révélées par Camille Kouchner dans le livre La Familia grande (Seuil).
À la suite de cette publication, une enquête préliminaire diligentée par le parquet de Paris a été ouverte et une plainte a été déposée.
Pour en parler, nous recevons la journaliste au Monde Ariane Chemin.
Pourquoi Frédéric Mion a t-il démissionné ?
Aurélie Filippetti était allée voir Frédéric Mion pour lui raconter que deux personnes lui ont parlé des problèmes d’inceste de Duhamel. Il l’écoute et lui affirme qu’il ira en rapporter à Marc Guillaume qui était à l’époque le secrétaire général du gouvernement, un homme très puissant à Matignon. Et visiblement Frédéric Mion ne le fait pas et l’affaire s’enterre.
Frédéric Mion, confronté à Aurélie Filippetti, raconte qu'il s'agissait de rumeurs et qu'il avait été voir Jean Veil, qui lui-même est très proche d'Olivier Duhamel et s'emmêle les pinceaux à plusieurs reprises. À tel point qu'il a été rattrapé par l'inspection qui a été mise en place par l'éducation nationale.
Visiblement, comme l’inspection de l’éducation nationale a entendu beaucoup de personnes, elle s’est rendu compte que ses propos n'étaient pas cohérents. Il a donc pris les devants et avant même la publication du rapport de l'éducation nationale, il choisit de quitter Sciences Po.
Des élites qui se protègent
Ce qui est intéressant, c'est que Frédéric Mion est un conseiller d'État, comme l'est d'ailleurs Marc Guillaume, ancien secrétaire général du gouvernement. C'est une petite famille très prisée.
Dans cette histoire, il ne s'agit que de gens qui disent le droit. À commencer par Olivier Duhamel, qui était professeur de droit constitutionnel très reconnu à Sciences Po. Au Conseil d’État, on surveille. On essaye de voir si les lois s'appliquent bien et si elles protègent le citoyen.
Quand vous êtes conseiller d'État, vous avez une sorte de devoir d’exemplarité, de même que lorsque vous êtes dirigeant d'un établissement public comme les Frédéric Mion. Or qu’est-ce qu’il a fait ? Il n’a pas protégé Duhamel, mais il n’a rien dit.
Marc Guillaume a été plus courageux car il a reconnu avoir été prévenu par Frédéric Mion. Il a assumé, mais il est fragilisé car quand on est préfet et conseiller d’État on doit faire preuve d’exemplarité.
Un devoir d'exemplarité
On ne demande pas d'aller dénoncer. On demande au moins aux proches d'Olivier Duhamel, lorsqu'ils étaient au courant de ces faits d'inceste, d'empêcher une progression vers le pouvoir. Or Marc Guillaume et Frédéric Mion ont aidé Olivier Duhamel.
C'est vrai que Frédéric Mion avait un bilan qui n'était pas mauvais. Il voulait réformer l'école et beaucoup se sont appuyés là-dessus en disant qu’on n’allait pas virer quelqu'un qui est justement en train de changer un peu les habitudes de fonctionnement de cette institution. C'est pour cela qu'il a sans doute été protégé par le corps professoral.
Mais ce qui est frappant, c'est que, hormis une ou deux voix, personne ne s’est levé, contrairement aux étudiants qui ont rappelé que le directeur de Sciences-Po a quand même un devoir d'exemplarité.
"Un monde qui tremble"
Pourquoi est-ce qu’il y autant de conseillers d’État à la tête d’un établissement public ? Pourquoi pas des enseignants ? C’est ultra français avec une formation des élites qui sont dispersées dans l’ensemble des grandes institutions. Quand on vient du Conseil d’État il y a une fraternité avec d’autres membres de ce corps.
Le Siècle est une institution où se réunit l’élite économique, politique, médiatique tous les mois autour de grandes tables. Pour entrer, il faut être coopté. C’est un moyen d’étoffer son carnet d’adresses. Duhamel dirigeait le Siècle depuis début 2020 et il y a été poussé par son ami Jean Veil, un avocat pénaliste, et Marc Guillaume. Il n’a pas été empêché.
C’est tout un monde qui tremble et qui est régi par des codes assez anciens. L’histoire Duhamel est intéressante car on a une femme qui écrit un livre pour dire que sa vie est bousillée, que l'homme qu’on voit partout dans les médias doit comprendre les ravages qu’il a faits. Parler d’inceste aujourd’hui, ce n’est pas pareil qu’il y a 15 ans.
Un nouveau chapitre de la vague Me Too
Duhamel était ce pouvoir masculin assez autoritaire, pas facile d’accès, qui vous écrase de sa domination intellectuelle et masculine. C’est pour ça que cette histoire est bourrée de symboles.
Cette affaire appartient à une grande vague Me Too qui est celle des violences sexuelles que la jeune génération entend dénoncer et qui n’épargne pas le pouvoir par ses livres et ses plaintes. Pour moi c’est vraiment l’histoire d’une révolution.
C’est souvent quand les gens sont connus que les choses avancent, c’est un peu le revers de la médaille mais c’est utile. […] L’inceste est partagé dans toutes les couches de la population française. L'inceste est malheureusement partagé.
Faire le procès de la génération mai 68 est un peu facile mais ce n’est pas que ça. On va revoir l’inceste d’une manière différente. Camille Kouchner n’est pas une victime directe mais collatérale. Elle montre que l’inceste touche toute une famille. Elle allie l’expérience de ce drame à l’intelligence d’une femme qui sait réfléchir, et ça fait avancer la cause.
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