Énergies et numérique : quelle transition écologique ? Avec Guillaume Pitron

Dans une usine de Xinwangda Electric Vehicle Battery Co. Ltd, qui fabrique des batteries au lithium pour les voitures électriques, à Nanjing, Chine.
Dans une usine de Xinwangda Electric Vehicle Battery Co. Ltd, qui fabrique des batteries au lithium pour les voitures électriques, à Nanjing, Chine. ©AFP - STR / AFP
Dans une usine de Xinwangda Electric Vehicle Battery Co. Ltd, qui fabrique des batteries au lithium pour les voitures électriques, à Nanjing, Chine. ©AFP - STR / AFP
Dans une usine de Xinwangda Electric Vehicle Battery Co. Ltd, qui fabrique des batteries au lithium pour les voitures électriques, à Nanjing, Chine. ©AFP - STR / AFP
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Après la crise sanitaire, la crise énergétique va-t-elle rythmer le monde ? Enjeux et pistes de réponses avec Guillaume Pitron.

Avec
  • Guillaume Pitron Chercheur associé à l'IRIS, journaliste et réalisateur de documentaires, spécialiste des matières premières

Entre la réunion des ministres de l’Union européenne organisée hier pour apporter des réponses à la hausse du prix de l’électricité et le rassemblement lundi prochain des États de la COP26 pour réfléchir à la transition écologique, la question de la crise énergétique est sur toutes les lèvres. 

Outre les débats pour ou contre le nucléaire, c’est l’efficacité des énergies renouvelables qui est en jeu en termes de production mais aussi de coût. La crise énergétique semble donc devoir se résoudre à travers l’investissement et les innovations. Entre alors en jeu le potentiel du numérique, qui, moins immatériel qu’on ne le pense, est loin d’être vertueux écologiquement. 

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Toutes les pistes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre sont-elles dès lors bouchées ? Comment dépasser les limites des énergies renouvelables et limiter les effets négatifs du numérique ? Pour en parler nous recevons Guillaume Pitron, journaliste et auteur de L'enfer numérique. Voyage au bout d'un like (Les Liens qui libèrent, 2021) et La guerre des métaux rares : La face cachée de la transition énergétique et numérique (Les Liens qui libèrent, 2018).

Un virtuel bien trop réel

Avec votre enquête, on se rend compte que le virtuel est en fait très réel. Pour reprendre le sous-titre de votre livre, quel trajet suit un "like" ?

Internet est présenté comme virtuel, et le Covid a montré à quel point c'était important de pouvoir travailler, communiquer à distance. C'est un grand récit du capitalisme : nous allons pouvoir continuer à nous développer grâce à un découplage que permet le numérique. L'objet de mon enquête est de montrer qu'il n'y a rien de virtuel dans ce monde numérique. Un like ne va pas d'un téléphone à un autre : il parcourt la planète entière, mobilise toutes les infrastructures d'Internet, des câbles sous-marins, des antennes 4G, des box Wi-Fi, et des centres de données (data centers) par lesquels transite l'information. Or dans les centres de données, il y a des serveurs qui chauffent à 60 degrés. On les refroidit soit artificiellement, soit au Pôle Nord pour consommer moins d'électricité.

Plus on va vers un monde virtuel, plus on va vers un monde matériel. Plus on va vers un monde "dématérialisé", plus on va vers un monde matérialiste. Il va donc bien falloir que des Etats s'organisent pour sécuriser les ressources d'un monde toujours plus impalpable.

Le monde sans sommeil des centres de données

A quoi ressemblent ces data centers ? Vous évoquez des espaces gigantesques, qui donnent une représentation concrète du virtuel.

Il faut savoir qu'il y a trois millions de data centers sur terre. Cela ressemble souvent à un immense hangar : celui de Facebook se trouve au Nord de la Suède. Quand on y rentre, on voit d'immenses rangées cernées d'armoires, et ce qui est impressionnant, c'est le son, comparable à celui d'une véritable ruche : on est assailli par le son strident d'Internet.

Et c'est un son qui ne s'arrête jamais : on a affaire à une dépense d'énergie continue.

Le soleil ne se couche jamais sur Internet, car nous sommes drogués à cet outil : nous voulons surfer 24h/24. Récemment, la panne de Facebook, d'une durée de six heures, était d'une durée cataclysmique. Contre cela, il faut ce qu'on appelle la continuité de service : un autre centre de données doit prendre le relais de celui qui s'éteint. Un compte Gmail se trouve dans six endroits différents de la planète. Il y a une réplication de l'information pour satisfaire l'internaute pressé.

L'illusion politique du découplage

On imagine que la COP26 va se pencher sur l'impact toujours plus grand du numérique sur la planète ? Aujourd'hui, 10% de la consommation d'énergie proviendrait du numérique.

Non, car cela va être présenté comme une solution, ce découplage entre nos modes de vie et l'environnement. On a l'impression qu'on va gagner plus en produisant moins.

Un calcul difficile

Il y a peut-être des dépenses énergétiques que l'on ne fait pas : quand on fait une réunion Zoom, on ne consomme pas l'énergie que l'on prendrait avec l'avion ou la voiture. Quand on parle de 10% de l'énergie, est-ce une dépense nette ou pourrait-on retrancher tout ce que l'on ne fait pas grâce à Internet ?

Absolument, et il faut parler de ce qu'Internet nous permet d'économiser : si j'annule une conférence à New York où je devais aller en avion et que je la fais sur Zoom, le gain est colossal. Mais le problème, c'est qu'il y a de nouveaux usages, que la 5G permet notamment. La question, c'est celle du solde, que personne ne connaît. Aujourd'hui, il y a des rapports financés par l'industrie numérique, qui est juge et partie dans l'histoire et qui a les moyens financiers de produire ces rapports pour dire qu'Internet va massivement nous aider à réduire l'impact environnemental des activités humaines. Inversement, le Shift Project va quasiment dans le sens inverse : Internet pollue encore plus que cela ne permet d'économiser. En réalité, on ne sait pas : Internet, c'est encore la jungle. On ne connaît pas le coût d'un email, ni d'un like. Sans doute parce qu'on n'a jamais voulu savoir.

On parle aujourd'hui du triomphe boursier de la Tesla, mais en quoi faut-il prendre conscience des externalités négatives que représentent les métaux rares nécessaires à sa production ?

Il faut bien des métaux pour fabriquer la batterie des voitures électriques, et il faut les extraire quelque part. La voiture à zéro émissions, c'est seulement quand on en roule : en fait, on délocalise la pollution. On découple la pollution de la phase d'utilisation. C'est comme la smart city : moins de pollution localement, mais plus hors des frontières.

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