Gilets jaunes : le temps du débat

Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 10 décembre 2018
Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 10 décembre 2018  ©AFP - LUDOVIC MARIN / POOL / AFP
Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 10 décembre 2018 ©AFP - LUDOVIC MARIN / POOL / AFP
Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 10 décembre 2018 ©AFP - LUDOVIC MARIN / POOL / AFP
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Y a-t-il eu une accélération de la vie politique avec le mouvement des "Gilets Jaunes" ? Pour parler du rôle du temps en politique, nous recevons deux historiens : Christophe Prochasson et Sabina Loriga.

Avec
  • Sabina Loriga Historienne.
  • Christophe Prochasson Historien et président de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)

Annoncé par Emmanuel Macron lors d’une allocution le 10 décembre, le « grand débat national », consultation destinée à répondre à la crise des "gilets jaunes", débutera le 15 janvier et durera jusqu’à la mi-mars. Mais à trois jours du début de cet événement, les « gilets jaunes » enregistraient une participation en hausse à l’acte IX de leur mobilisation. Nous recevons =un historien, Christophe Prochasson, directeur de l’EHESS, avec qui nous mettrons en perspective l’organisation de ce grand débat. Nous sommes rejoints par une historienne directrice d’étude à l’EHESS, Sabina Loriga

Le débat : 

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« Il est tout à fait normal que le désaccord, la controverse, la polémique, soit le carburant de la démocratie. Par définition, la démocratie est l’endroit où doit se déployer le désaccord car du désaccord nait le progrès. On voit que tous les régimes autoritaires veulent étouffer les débats » Christophe Prochasson.

« Il y a une vraie difficulté car dans notre pays, on ne débat plus beaucoup au sens sérieux du terme… On s’étripe dans des talk shows… Les lieux d’un débat organisé, argumenté (un débat ça se prépare), tout ceci s’est un peu effacé de nos horizons. L’effondrement des cultures politiques traditionnelles fait aussi que ce débat devient plus difficile car chacun ne sait plus très bien quoi penser, ce que l’autre pense... Il va être très difficile de faire vivre ce débat car il n’a pas été véritablement préparé. On a renvoyé ça aux uns et aux autres. Tout cela est fait dans un grand désordre… Un débat, ce n’est pas du brouhaha. Précisément, ce doit être rationnellement mis en place, documenté. Mais l’idée même du débat, c’est une chose que l’on peut louer » Christophe Prochasson.

Le mouvement des gilets jaunes dans l’histoire :

« Nous avons besoin de temps et de calmer un peu le jeu… Halte à tout ce discours pseudo scientifique qui essaie d’analyser quelque chose qu’on ne comprend pas et il faudra du temps pour le comprendre. Il faut le dire avec force, afin que les savants soient respectés. Si les savants font la même chose que les journalistes, ils n’auront plus de légitimité » Christophe Prochasson.

« Parmi toutes les définitions de la crise, l’une d’elle est que la crise c’est ce qui résulte du décalage entre ce qui se passe et ce que l’on comprend » Christophe Prochasson.

« Deux choses me paraissent notables dans le mouvement des gilets jaunes. Tout d’abord, au regard du nombre de personnes impliquées (50 000 / 100 000), l’évènement pourrait paraître dérisoire… les implications ne sont pas très massives au regard d’autres mouvements sociaux que l’on a pu connaître dans l’histoire. En revanche, c’est un fait que ce mouvement occupe les esprits. L’acteur social, dans ce mouvement, c’est aussi les médias et les réseaux sociaux…. La seconde remarque qui me semble en accord avec un certain nombre de réflexions développées par les historiens ces dernières années, c’est sur l’historicité : la façon dont nous construisons le temps. Si j’avais une hypothèse à formuler, je dirais que peut-être le mouvement des gilets jaunes est le premier mouvement social « présentiste » : quelque chose où les gens pensent à l’immédiat, au tout de suite, au maintenant, au sans délai » Christophe Prochasson.

L’histoire nationale :

« Il me semble qu’après une période de mondialisation de la mémoire et de l’histoire, marquée par la Shoah et le communisme, nous sommes peut-être en train de revenir à des débats sur l’histoire nationale » Sabina Loriga.

« Quelque chose a commencé sous Sarkozy et a été très fort pendant les dernières élections politiques : un retour à l’idée qu’il faut une culture historique centrée sur la fierté de la France, à droite comme à gauche (avec JL Mélenchon). Nous devons réfléchir sur ce retour de l’histoire nationale dans les derniers temps » Sabina Loriga.

Analogies avec l’Italie ?

« Le mouvement 5 étoiles en Italie a été la création d’un chef. Le mouvement est géré par un, deux patrons, des patrons très importants, ce qui n’est pas le cas des gilets jaunes… » Sabina Loriga.

Le mouvement 5 étoiles n’a pas produit de mouvements de violences » Sabina Loriga.

Le mouvement 5 étoiles, comme le mouvement des gilets jaunes en France, mélange des thèmes tout à fait différents, de droite, de gauche… Ce que nous percevons comme un « défaut » (le manque de cohérence) est en réalité un grand atout de ce mouvement : le fait de cumuler des discours « incohérents » n’affaiblit pas ce mouvement mais renforce la capacité de parler à des groupes différents. Sabina Loriga.

Le syncrétisme : 

« Il est évident qu’entre le temps des politiques publiques et le temps politique rythmé par des rendez-vous hebdomadaires, le samedi est une nouvelle façon de structurer le temps. Le temps des élections. La durée de vie des hommes politiques. Plein de temps sont emboîtés. Les gilets jaunes ont créé un nouveau temps. Christophe Prochasson.

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