Alors que de nombreux travaux universitaires tentent d'éclairer le mouvement des "gilets jaunes", le décalage entre temps politique et médiatique et temps de la recherche apparaît criant. Les sciences sociales ont-elles les moyens d'éclairer des phénomènes sociaux en construction ?
- Magali Della Sudda chargée de recherche au CNRS, membre du Centre Émile-Durkheim, spécialiste des questions de citoyenneté, de genre et de religion en France et en Italie
- Cyril Lemieux sociologue, directeur d’études à l’EHESS
Dix mois après l'acte I des "gilets jaunes", les universitaires se sont pleinement emparés de ce mouvement comme objet d'étude. De nombreux travaux académiques cherchent aujourd'hui à éclairer ce phénomène. Dans le même temps, le nombre de manifestants dans la rue a fortement faibli. Les "gilets jaunes" semblent avoir pris de court une partie du monde de la recherche, et le recul nécessaire pour étudier ce mouvement met en évidence le décalage entre actualité brûlante et temporalité du chercheur.
Que peuvent nous dire les sciences sociales sur les "gilets jaunes" ? Quelles leçons tirent-elles de ce mouvement ? Les sciences sociales ont-elles les moyens d'éclairer l'actualité en train de se faire ?
Pour en parler, nous recevons Magali Della Sudda, historienne et politiste, chargée de recherche au CNRS, membre du centre Emile-Durkheim, co-autrice d’une l’enquête du centre Emile-Durkheim auprès de 1 300 "gilets jaunes", et Cyril Lemieux, directeur d’études à l'EHESS en sociologie, sociologue des médias, notamment co-auteur avec Bruno Karsenti de Socialisme et sociologie (éditions EHESS) et de Pour les sciences sociales, 101 livres (éditions EHESS).
Magali Della Sudda :
L’écologie est bien présente dans le mouvement des "gilets jaunes" : il s’agit d’une pratique écologiste populaire. On note par exemple un réinvestissement des jardins individuels qui sont issus d’une pratique ouvrière. Les gilets jaunes se tournent aussi vers des marchés de producteurs locaux.
Dans le mouvement des "gilets jaunes", les femmes ont réinvesti des rôles traditionnels mais elles ont aussi pris de nouvelles responsabilités comme des rôles de coordination ou de porte-parole.
Parmi les 1 300 personnes que nous avons interrogées, une personne sur dix a spontanément dit être confrontée soit personnellement soit dans son entourage au handicap.
Au début du mouvement, on pensait qu’on avait affaire à une défiance des "gilets jaunes" face à la démocratie. C’est plus compliqué : quand on creuse, on comprend qu’ils veulent plus de représentativité, de visibilité.
Cyril Lemieux :
Le complotisme est une manière maladroite mais réelle d’entrer en politique pour certains jeunes. C’est l’idée qu’on essaye de trouver sa place, de participer, d’avoir un rapport à l’Etat. Il témoigne de quelque chose de positif : il produit de l’énergie sociale.
Il y a réellement un risque des sciences sociales de se confondre avec les idéologies : la sociologie avec l’idéologie socialiste, les sciences cognitives ou l’économie avec l’idéologie libérale et parfois même conservatrice. Mais je crois vraiment à la production d’un regard plus objectif sur la société par les sciences sociales.
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