

Attaqués de toutes parts, les droits de l'homme apparaissent fragilisés par les crises auxquelles nous faisons face. Comment penser les droits de l'homme dans le temps présent ?
- Justine Lacroix Professeur de science politique à l'université libre de Bruxelles, directrice du Centre de théorie politique
- Manuel Cervera-Marzal Sociologue et chercheur à l'Université de Liège et chercheur associé à l'EHESS
Le débat sur l'immigration à l’Assemblée Nationale s’est ouvert ce lundi. Centrale dans l’acte 2 du quinquennat, la question fait débat depuis les années soixante-dix. Aux pourfendeurs de l’accueil s’opposent ceux qui dénoncent le “droitsdelhommisme”. Quand les premiers invoquent des droits universels, les seconds, eux, critiquent ce qui serait une forme de bien-pensance et de générosité naïve. Par ailleurs, en matière d’écologie, les actions de désobéissance civile se multiplient, comme ce samedi avec l’occupation du centre commercial Italie 2, interrogeant sur leur légitimité en démocratie. Les conséquences du changement climatique, la crise des réfugiés ou encore le terrorisme sont autant d'enjeux où notre rapport aux droits de l'homme est mis à l'épreuve. Peut-on encore faire face aux défis du temps présent sans renoncer aux droits de l'homme ?
Dans son dernier ouvrage, Justine Lacroix, professeur de science politique à l'université libre de Bruxelles, répond à ces attaques et tente une réhabilitation des droits de l’Homme. Elle publie avec Jean-Yves Pranchère « Les droits de l’homme rendent-ils idiot ? » aux éditions du Seuil. C’est notre invitée de ce matin. Elle sera rejointe en seconde partie par Manuel Cervera-Marzal, sociologue à l’université Aix-Marseille. Après « Les Nouveaux Désobéissants : citoyens ou hors-la-loi ? » (éditions Le Bord de l’eau, 2016), il vient de publier « Post-vérité. Pourquoi il faut s’en réjouir ».
Le tournant des années 2000
"Ce qui est vraiment nouveau c’est que les droits de l’homme sont largement discrédités. Il y a eu un retournement depuis une décennie. Dans les années 1990, il y avait une adhésion au moins de surface : on ne pouvait pas les critiquer ouvertement. Aujourd’hui, on voit des dirigeants qui théorisent leur remise en cause." Justine Lacroix
"Dans ces nouveaux discours, les partisans des droits de l’homme apparaissent de plus en plus comme des naïfs." Justine Lacroix
"On ne peut pas sous-estimer l’impact considérable qu’a eu la deuxième guerre d’Irak pour décrédibiliser les droits de l’homme. L’instrumentalisation des droits de l’homme par l’administration américaine a conduit à associer les droits de l’homme à une logique de domination impériale." Justine Lacroix
Le "droit-de-l'hommisme" et ses opposants
Sur l'origine de cette expression : “Il semble que ce soit Jean-Marie Le Pen le premier qui ait forgé cette expression, puis elle s’est imposée petit à petit chez des responsables politiques situés dans des champs plus respectables de l’échiquier politique. Nicolas Sarkozy l’a utilisé dans le contexte précis de la question migratoire." Justine Lacroix
"Aujourd’hui, le débat oppose de façon tronquée et manichéenne des “droits-de-l'hommistes” caricaturés comme plaidant pour un droit universel de circulation à l’échelle du globe et qui voudraient l’ouverture totale des frontières et les autres, qui auraient le sens de la préservation de l’intégrité culturelle, des équilibres sociaux, qui feraient preuve de plus de réalisme." Justine Lacroix
Les droits de l'homme, un champ des possibles
"Les droits de l’homme ne déterminent pas totalement nos rapports à des sujets comme l’immigration. Est-ce que les droits de l’homme signifient que chaque individu s’installe où il le souhaite ? Peut-être, dans une conception très individualiste des droits de l’homme. Mais est-ce que les droits de l’homme ne renvoient pas d'abord à une liberté collective ? Liberté d’autodétermination, liberté de délibérer ensemble de notre avenir commun." Justine Lacroix
"À partir des droits de l’homme, on a tout le champ du possible qui s’ouvre, et je refuse cette façon d’associer celui qui croit aux droits de l’homme aux bourgeois, où le bourgeois serait celui qui croit à l’ouverture des frontières." Justine Lacroix
Sur les atteintes aux libertés individuelles
À propos du projet de Bercy de collecter des données en ligne sur les fraudeurs fiscaux :
"On ouvre une petite porte, on met le doigt dans un engrenage, et on ne sait pas très bien jusqu’à où il va nous conduire." Manuel Cervera-Marzal
"Il est toujours possible de déroger aux droits de l’homme, mais il faut que l’objectif poursuivi soit, comme le disent les juristes, proportionné. […] Moi ce qui m’interpelle, c’est le fait que cela se passe dans une relative indifférence." Justine Lacroix
Droits de l'homme et crise climatique
"Face à l’urgence à laquelle nous sommes confrontés, trouverons-nous des solutions par la délibération démocratique ? Je ne sais pas." Justine Lacroix
Sur les possibles limitations aux libertés individuelles nécessaires pour lutter contre le changement climatique, il ne s'agit pas à proprement parler d'atteintes aux droits de l'homme : "Je crois que c’est une mauvaise compréhension des droits de l’homme. Ce n’est pas la liberté de faire tout ce qu’on veut. [...] Si on doit en venir à de mesures du type “Vous pouvez prendre l’avion une fois par an”, ce n’est pas une atteinte aux droits de l’homme. Les droits de l’homme, ce sont les droits de l’homme en relation, en société. Donc si la société est menacée par l’exercice de ma liberté individuelle, la logique veut que l’on restreigne cette liberté individuelle."
La désobéissance civile
La désobéissance civile est une action illégale et non violente. C’est dire qu’entre ce que dit la justice et la loi, on choisit de désobéir à la loi. Toute désobéissance n’est pas une désobéissance civile : il faut que cela se fasse dans l’intérêt général. Manuel Cervera-Marzal
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