Le gouvernement doit dévoiler aujourd’hui les mesures de sa nouvelle politique migratoire. Parmi ces annonces se trouve par exemple l’instauration de quotas pour l’immigration économique. Assiste-t-on à un changement de cap dans l’accueil des immigrés en France ?
- Hervé Le Bras Démographe, historien, directeur d'études à l'EHESS et chercheur émérite à l'INED, titulaire de la chaire territoire et population à la Fondation Maison des sciences de l’homme, il réalise une chronique pour le mensuel Zadig, "La France à la carte"
- Claire Rodier Juriste, directrice du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), co-fondatrice du réseau euro-africain Migreurop.
C’est “sans tabou” que le premier ministre Édouard Philippe a déclaré début octobre vouloir se confronter à la question de l’immigration lors du premier débat annuel sur la question à l’Assemblée et au Sénat. Un mois plus tard, le gouvernement doit annoncer ce mercredi une série de mesures relatives à l'immigration. Parmi elles, l’instauration de quotas ou encore le durcissement des conditions d’accès à certaines aides.
La nouvelle politique migratoire qui se dessine constitue-t-elle une refonte sans précédent de règles d’accueil sur le territoire français ?
Pour en parler, nous recevons Hervé le Bras, démographe, directeur de recherches à l'INED et directeur d'études à l'EHESS. Auteur de nombreux ouvrages traitant de l'immigration, il est plus récemment l'auteur d'une note sur cette question pour la Fondation Jean Jaurès qui paraît ce jeudi.
Il sera rejoint par Claire Rodier, directrice du GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigrés), auteure de “Migrants & réfugiés : réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents” (La Découverte, 2018).
Le terme de "quota" est-il bien choisi pour désigner le projet porté par le gouvernement ?
"D'habitude, le terme de quota désigne une limite à ne pas dépasser. C'était par exemple le cas pour les étudiants en médecine à une époque. Là, ce n'est pas du tout ce qui se passe, ce qui se passe c'est que l'on va autoriser dans certaines régions et dans certains métiers, l'engagement de travailleurs immigrés ou plus exactement étrangers, sans passer par la formalité habituelle qui consiste à montrer qu'il n'y a pas de travailleurs français qui puissent prendre le poste, qui est mis, qui est ouvert. [...] C'est une mesure que déjà Sarkozy avait instauré et qui avait ensuite été retirée par Hollande. Donc, on revient en arrière. C'est une affaire de réglementation pour faciliter l'embauche et c'est le contraire d'un quota au sens propre du terme, puisque c'est au contraire pour augmenter une immigration de travail dont on a besoin et qui est faible" Hervé le Bras
C'est de l'habillage. Macron est un peu coincé en étant "ni de droite, ni de gauche", [...] ça n'a rien à voir avec des quotas. Hervé le Bras
Quels sont les secteurs visés par ces "quotas" ?
"Il y a deux types d'immigration qui sont demandés par l'économie. D'un côté, des métiers très peu qualifiés, mais dangereux ou avec des contraintes fortes, notamment dans l'hôtellerie, dans la restauration. Et puis les métiers de pointe, pour lesquels les quotas n'ont pas de sens. La technique qui avait été mise au point au Canada d'avoir un nombre de postes fixés par province canadienne et par profession a été un échec parce que les personnes entrent au titre d'une profession et d'une région et quelques mois après, on les trouve dans une autre, une autre province et dans une autre profession." Hervé le Bras
Pourquoi une réforme de l'immigration aujourd'hui ?
"Il y a eu pendant l'année 2018 une réforme très importante du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, avec une loi qui a été adoptée en septembre 2018. Et c'est quand même assez surprenant que moins d'un an après, on ait des annonces. [...] On est habitué dans ce domaine à ce qu'il y ait une loi par ministre de l'Intérieur, voire deux. Mais à ce rythme, cette nécessité tout à coup de réformer est très étrange et s'inscrit, de notre point de vue, dans un contexte préélectoral qu'on avait déjà senti d'ailleurs dans les annonces de Macron dans son discours de décembre 2018" Claire Rodier
Sur les limitations visant à mettre un terme au "tourisme sanitaire" :
"Il existe de façon très marginale par rapport à la réalité des besoins de la population principalement visée par cette réforme. On a une très grande partie des demandeurs d'asile qui se trouvent à la rue du fait des carences du système d'accueil et d'hébergement. Des personnes qui ne sont parfois même pas encore demandeuses d'asile parce qu'elles n'ont pas pu déposer de dossier. [...] Les gens les plus vulnérables, ceux que rencontrent notamment les permanences des associations comme Médecins du monde très régulièrement est déjà privée de soins, tout simplement par non possibilité d'accès à ce qui est un droit." Claire Rodier
Les soins dispensés aux personnes étrangères que le gouvernement veut encadrer plus strictement sont-ils un poste de dépense important ?
Il y a énormément de fantasmes, il y a beaucoup d'intoxications sur le poids écrasant que représenteraient cette AME et la PUMa dans les dépenses de l'assurance maladie en France. Mais en fait, les chiffres sont tout à fait dérisoires. Claire Rodier
"Le non-accès aux soins représente aussi un danger pour la santé publique, notamment du fait des pathologies contagieuses. Il y a aussi des choses qui n'ont pas été dites [...], notamment la proportion des enfants pris en charge dans le cadre de l'aide médicale. Cela représente un peu plus de 20% des personnes qui sont prises en charge dans le cadre de l'AME. Donc réduire le panier de soins, réduire l'accès aux soins pour cette population là, globalement, au nom de la fraude, ça veut dire aussi priver des enfants de soins alors que c'est une obligation pour la France, en référence à la Convention internationale sur les droits de l'enfant ou à la Convention européenne des droits de l'homme." Claire Rodier
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