On connaît bien la manière dont les biais peuvent altérer un jugement. On parle moins souvent du bruit. Et pourtant.
Après avoir pendant longtemps postulé que les agents économiques se caractérisaient par leur parfaite rationalité, c’est-à-dire par la compréhension et la hiérarchisation maîtrisée de leurs propres intérêts, l’économie s’est peu à peu ouverte, en s’appuyant sur la psychologie, à la complexité des processus de décision. Ce que l’on appelle « l’économie comportementale » est peu à peu parvenue à montrer que notre jugement ne tend pas automatiquement vers la rationalité, mais est au contraire en permanence piégé par l’esprit humain lui-même, qu’il s’agisse de ce que l’on appelle les multiples « biais » ou bien de la variabilité aléatoire des processus mentaux.
Néanmoins, cette prise en considération des failles de nos jugements est aussi une chance : en découvrant la vulnérabilité de notre esprit, mais aussi l’éventail parfois terrifiant de ses conséquences dans l’ensemble de nos existences (dans les domaines politique, économique, juridique, social, environnemental, personnel…), l’économie nous rend aussi capables de mieux maîtriser nos facultés intellectuelles, nous offrant l’espoir de vivre dans une société un peu plus juste et mieux organisée. Il y a donc une mauvaise nouvelle, et une bonne nouvelle : nous ne sommes peut-être pas déjà pleinement rationnels, mais nous pourrions bien le devenir.
Nous en parlons avec Daniel Kahneman. Il est spécialiste de psychologie cognitive et d’économie comportementale, professeur émérite à l’Université de Princeton et prix Nobel d’économie (2002). Il est l’auteur de Système 1 / Système 2. Les deux vitesses de la pensée, et cosigne à présent Noise. Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter, avec Olivier Sibony et Cass R. Sunstein.
Un psychologue en économie
Qu'est-ce que cela signifie, d'être un psychologue travaillant en économie ?
Comme psychologue, je ne travaille pas directement en économie, mais notre travail a eu une influence sur l'économie du comportement, c'est-à-dire au fond l'économie inspirée de la psychologie.
Vous vous êtes penché sur les raisons pour lesquelles on commet des erreurs de jugement. Pourquoi cela vous intéresse ?
Les économistes cherchent à savoir si l'on agit raisonnablement, dans son propre intérêt. Le dernier objet de ma recherche, ce sont les différences de biais : le fait que chaque individu a ses biais personnels, et ne parviendra pas aux mêmes conclusions que son voisin. C'est le bruit.
L'erreur et le bruit
Quelle est justement la différence entre le bruit et les autres manières de faire erreur ?
Il y a de nombreuses raisons qui expliquent les différences de jugement entre individus et les erreurs. Ce qui nous intéresse ici, ce sont des systèmes : les institutions juridiques, les assurances... Il y a des personnes, dans ces institutions, qui portent des jugements individuels qui engagent l'institution derrière, et si ces jugements diffèrent, c'est une source d'injustice et d'efficacité.
Dans Noise, il est question des juges mais aussi des médecins : sur une même maladie, ils peuvent produire des jugements différents. Comment est-ce possible ?
Les gens sont bien plus différents dans leur manière de voir le monde qu'ils ne le pensent. Nous sommes tous convaincus de voir le monde tel qu'il est, et donc nous partons du principe que les autres voient le monde de la même manière. Or ce n'est pas le cas. Dans les faits, chacun d'entre nous, à nombre d'égards, a une vision très différente des autres. Dans une compagnie d'assurance, les différences entre souscripteurs sont cinq fois plus importantes que ce que l'on croirait.
Le bruit existe même dans des problèmes très simples, quand différents individus écoutent un même candidat pour une embauche, par exemple.
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