

Pour dresser une cartographie française de la colère des "gilets jaunes", nous recevons le géographe Jacques Lévy et le sociologue François Dubet.
- François Dubet Sociologue, directeur de recherche à l'EHESS
- Jacques Lévy Géographe, directeur de la chaire “intelligence spatiale” de l’université Polytechnique Hauts-de-France
Deux jours après les annonces d’Emmanuel Macron pour répondre aux demandes des Gilets jaunes, les participants au mouvement, peu satisfaits des mesures avancées par le président de la République, semblent toujours très mobilisés. Sur les réseaux sociaux, des appels à l'acte 5 pour le samedi 15 décembre circulent toujours. Peut-on constituer une carte des points de concentration d’actions des Gilets jaunes en France ? Que nous dit cette répartition sur le territoire ?
Notre invité est Jacques Lévy, géographe, professeur à l’Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne et à l’Université de Reims, co-auteur de “Théorie de la justice spatiale. géographies du juste et de l’injuste” publié chez Odile Jacob avec Jean Nicolas Fauchille et Ana Povoas.
Nous recevons aussi en deuxième partie d'émission, en duplex depuis Bordeaux, François Dubet, sociologue, professeur émérite à l’Université de Bordeaux, directeur d'études à l'EHESS, notamment auteur de « Trois jeunesses. La Révolte, La Galère, l’Emeute » paru aux éditions Le Bord de l’eau.
Qui sont les gilets jaunes ?
Les gilets jaunes, contrairement à ce que beaucoup de gens ont dit et notamment les gilets jaunes eux-mêmes, ont un revenu moyen supérieur à la moyenne de la France. C’est-à-dire qu’il y en a 1/3 qui sont au-dessous du revenu médian (par définition, en France, il y a la moitié des Français qui est en-dessous du revenu médian – autour de 1700 euros). Donc ça veut dire qu’ils (les gilets jaunes interrogés) sont plus riches. Et ça, c’est un objet difficile à étudier, on le découvre, il est nouveau, donc il faut comprendre que ce n’est pas facile pour les chercheurs, mais ce que ça me rappelle, c’est qu’on se retrouve face à un groupe politique qui ressemble à l’électorat de Donald Trump : plus riche en moyenne que l’électorat d’Hillary Clinton. Jacques Levy.
Mobilisations en ville :
Les mobilisations en ville sont particulièrement compliquées à analyser car d’autres acteurs interviennent, des sympathisants des gilets jaunes, des militants… Les sympathisants de gauche sont souvent assez bien représentés en ville. Jacques Levy.
La société de la défiance :
Une des spécificités de la France est qu’on est une société de la défiance. Cette posture de défiance amène certaines modalités d’actions qu’on retrouve chez les gilets jaunes. Jacques Levy.
Pourquoi sont-ils en colère ? Ils ont des raisons d’être inquiets en raison des problèmes de mobilité qu’ils connaissent mais aussi parce qu’ils sont inquiets pour leur place dans la société. Jacques Levy.
Les inégalités :
Je suis très frappé par le fait que l’on s’éloigne d’un type de représentation des inégalités… Les gilets jaunes, au-delà de la conjoncture politique, révèlent que l’on est dans un autre type d’inégalités. François Dubet.
Le thème du mépris revient aussi souvent, personne ne dit « je suis exploité » mais « je suis méprisé ». François Dubet.
L’expression des inégalités individuelles est frappante. Chacun se sent personnellement victime des inégalités et pas seulement les gilets jaunes. Dans le système de classes, les inégalités étaient structurées autour du travail des revenus. Par exemple, pour les ouvriers, il y avait un destin collectif. Or là, les gilets jaunes parlent toujours de façon très singulière, individuelle. Il n’y a plus de « nous », il n’y a plus de relais, de partis, qui relayaient ces inégalités. Aujourd’hui, l’expérience de l’inégalité ne se fait plus de manière collective. François Dubet.
Aujourd’hui, on se bat contre le système, la mondialisation, le regard des autres… tout cela est très bien, mais ce n’est pas un adversaire social. Quand on se bat contre le mépris, on ne se retrouve pas face à un adversaire social. Comment donner une nouvelle forme politique et culturelle face à de nouveaux rapports sociaux ? François Dubet.
Le thème du creusement des inégalités sociales, n’est pas si clair que ça. La redistribution sociale en France est plutôt efficace, faisant passer l’écart entre les 10% les plus riches et les 10 % les plus pauvres de 7 à 4. C’est plus le changement de nature des inégalités que d’amplitude qui se manifeste. François Dubet.
La colère lycéenne :
Il y a une angoisse sourde sur l’avenir. L’idée que les diplômes sont rentables et qu’ils seront convertis en emplois n’est plus assurée… Personne n’est dupe, le système scolaire est un système de tri : triés par APB, Parcoursup, conseils de classe… En tant que jeune, vous avez le sentiment d’une liberté adoptant un mode de consommation assez agréable, mais en même temps, le sentiment d’un avenir bouché et celui d’entrer dans une compétition que l’on peut perdre. Les jeunes, pour l’essentiel, savent qu’ils se préparent à une entrée difficile dans la vie professionnelle. Ils savent que l’équivalence entre les diplômes et les emplois s’affaiblit beaucoup. François Dubet.
Emmanuel Macron :
Les syndicats sont ce qu’ils sont mais on ne les affaiblit pas, les élus locaux idem : quand vous les affaiblissez, vous n’avez plus rien entre vous et la colère. François Dubet.
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Production déléguée
- Réalisation