La fabrique de l’apathie face aux changements climatiques, avec Jean-Baptiste Fressoz et Judith Rochfeld

Une manifestante lors d'un rassemblement contre la hausse du trafic aérien à l'aéroport de Nantes-Atlantique dans la ville de Bouguenais près de Nantes le 3 octobre 2020
Une manifestante lors d'un rassemblement contre la hausse du trafic aérien à l'aéroport de Nantes-Atlantique dans la ville de Bouguenais près de Nantes le 3 octobre 2020 ©AFP - Sébastien SALOM-GOMIS
Une manifestante lors d'un rassemblement contre la hausse du trafic aérien à l'aéroport de Nantes-Atlantique dans la ville de Bouguenais près de Nantes le 3 octobre 2020 ©AFP - Sébastien SALOM-GOMIS
Une manifestante lors d'un rassemblement contre la hausse du trafic aérien à l'aéroport de Nantes-Atlantique dans la ville de Bouguenais près de Nantes le 3 octobre 2020 ©AFP - Sébastien SALOM-GOMIS
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L’urgence climatique ne cesse de faire les gros titres de l’actualité. La préoccupation de l’homme pour le climat ne date en revanche pas d’hier : on en trouve les traces dès le XVe siècle. Alors pourquoi sommes-nous devenus si apathiques face aux changements climatiques ?

Avec
  • Judith Rochfeld Professeure de droit à l’Ecole de droit de la Sorbonne, université Paris-1, Institut de recherche juridique de la Sorbonne
  • Jean-Baptiste Fressoz Historien des sciences, des techniques et de l'environnement

Les eurodéputés ont adopté mercredi 7 octobre un amendement à la loi climat proposant de réduire les émissions de CO2 – non pas à 55% comme le préconisait la Commission - mais à 60 %. L’objectif est de permettre à l’Europe de respecter ses engagements dans l’accord de Paris. Devenue omniprésente dans notre quotidien, la préoccupation pour le changement climatique, n’en est pas moins ancienne. Pourquoi et comment sommes-nous devenus, au fil du temps, indifférents à la menace climatique avant de la redécouvrir brutalement ?

C’est l’objet du nouveau livre de l’invité des Matins de Guillaume Erner, Jean-Baptiste Fressoz, historien, chercheur au CNRS. Il est co-auteur avec Fabien Locher des Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique, publié aux éditions du Seuil et qui sort ce jeudi 8 octobre en librairie. Il sera rejoint en deuxième partie d'émission par Judith Rochfeld, professeure de droit privé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteure notamment de Justice pour le climat ! Les nouvelles formes de mobilisation citoyenne, publié en 2019 aux éditions Odile Jacob. 

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La Transition
3 min

"Au milieu du XIXe siècle, il y avait eu des débats très riches sur la cause de ces événements climatiques. Il y avait eu par exemple de très grandes inondations dans les années 1840-1850 en France. On voit alors apparaître un grand débat sur la cause de ces changements climatiques : est-ce que ces inondations sont causées par un changement climatique entropique, causé par l'homme ? Est-ce que c'est parce qu'on a trop déforesté ? Il y a alors un débat entre deux types d'administration. Les Eaux et forêts disent que oui, avec le développement économique et la mauvaise gestion des forêts de montagne par les habitants, on a accru le risque d'inondations. Les Ponts-et-chaussées, eux, proposent une solution très techniques : on va endiguer, on va contrôler la nature de manière beaucoup plus ferme. Ce qui est frappant, c'est de voir que depuis longtemps, ce type d'événements a été lié à des actions humaines." Jean-Baptiste Fressoz

Comment a-t-on oublié ce lien entre couvert forestier et climat ? L'histoire est complexe. Mais il y a un facteur très important. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les sociétés des pays riches construisent leur résilience face aux aléas du ciel. C'est lié aux réseaux de chemins de fer qui permettent d'approvisionner en céréales s'il y a une disette à un endroit donné à partir des ressources d'une autre région, la globalisation des marchés agricoles, le fait qu'on puisse importer du blé des Etats-Unis, de Russie en masse en cas de mauvaises saisons. Jean-Baptiste Fressoz

"Il y a une première forme d'apathie avec le désintérêt du lien entre le changement climatique et la forêt, elle devient moins importante économiquement au cours du XIXe siècle. Il y a un autre aspect, c'est que le climat perd de son influence. Dans la tête des hommes du XVIIIe siècle jusqu'au mi-XIXe siècle, le climat, c'est la matrice du vivant. Changer le climat, c'est produire de la dégénérescence. Par exemple, la théorie de l'effondrement des sociétés orientales, c'est qu'elles ont trop déboisé - par exemple Palmyre, Babylone -, elles ont détraqué et ont produit leur propre dégénérescence raciale, il y a un sous-texte raciste dans tous ces débats au XIXe siècle. Cette forme de désinhibition passe plutôt par d'autres formes de savoirs qui montrent que le climat n'est pas si important. Par exemple, la microbiologie, Pasteur, les maladies sont liées à des microbes, pas à des changements environnementaux. L'économie marginaliste, elle pense l'économie comme quelque chose d'assez abstrait, ce sont des questions d'utilité, donc c'est plutôt psychologique, alors que l'économie classique pense la fertilité des sols, les récoltes, elle est beaucoup plus ancrée dans le réel. Donc, le climat perd de son influence." Jean-Baptiste Fressoz

Le Journal des sciences
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"Depuis 2015, de nombreuses actions acclimatent le judiciaire à réagir à ces questions climatiques. (...) On voit dans les mois qui viennent de s'écouler, à mon sens, des petits marqueurs d'un changement de nos juridictions, puisque le Conseil d'été, en juillet, a menacé l'Etat d'une astreinte de 10 millions d'euros si les plans régionaux de pollution de l'air n'étaient pas aux normes. On a aussi un tournant du Conseil constitutionnel qui a reconnu une force au préambule de la Charte constitutionnelle de l'environnement en janvier 2020, pour reconnaître que l'environnement - on peut discuter de ce terme bien sûr - est le patrimoine commun des êtres humains, et interdire à des fabricants de produits phytosanitaires d'exporter des produits qui étaient interdits en France." Judith Rochfeld

La Grande table idées
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