

Avec les records de "Dune" en salle, préférons-nous les dystopies de la science fiction aux catastrophes du présent ? Nous en parlons ce matin.
- Natacha Vas-Deyres Chercheuse associée de l’université Bordeaux Montaigne, spécialiste de la littérature d’anticipation
- Nicolas Martin Auteur, scénariste et réalisateur. Auteur de "Alien, la xénographie !"
- Catherine Dufour Romancière, auteure de science-fiction et ingénieure informatique
Deux semaines après sa sortie en salle en France, le film « Dune » réalisé par Denis Villeneuve atteint des records avec près de 1 600 000 spectateurs en deux semaines. Pourquoi cet attrait pour une œuvre de science fiction réputée inadaptable depuis l’échec de David Lynch en 1984 ?
Alors que les catastrophes climatiques se sont enchaînées dans une deuxième année marquée par la pandémie, la science fiction semble de moins en moins fictive et ses projections dystopiques de plus en plus proches des titres de l’actualité. Pourquoi lorsque le présent nous offre son lot d’imprévus, la science fiction attire-t-elle toujours autant, si ce n’est plus qu’avant ?
Comment la science-fiction nous rassure-t-elle dans un présent de plus en plus apocalyptique ? Quel sens donne-t-elle à notre société ? Quelles alternatives propose-t-elle ?
Pour en parler nous recevons Catherine Dufour, autrice de science-fiction et ingénieure informatique, Natacha Vas-Deyres, chercheuse associée à l’université Bordeaux Montaigne, spécialiste de littérature d’anticipation et de science fiction et Nicolas Martin, producteur de l'émission "La Méthode scientifique" sur France Culture.
La science-fiction, entre présent et futur
"Dune" rencontre un succès considérable, alors que l'on pouvait avoir l'impression qu'il ne serait plus possible de faire enfin coïncider l'imagination de Frank Herbert et notre époque.
Les monuments de la science-fiction, comme "Dune" ou "Fondation" d'Asimov, on se dit parfois qu'ils ont vieilli avec le temps, et néanmoins, il y a cette forme d'actualité parfois sidérante : quand j'ai vu "Dune", c'était juste après le retrait des Etats-Unis d'Afghanistan, et il y a quelque chose avec ce peuple du désert, qui vit sous le joug d'une puissance coloniale, comme des échos avec le présent. Des bons auteurs de science-fiction, ce sont des auteurs qui à un moment donné de leur présent d'écriture, ont une perception des enjeux globaux et politiques qui les poussent à produire des fictions intemporelles, qui finissent même par faire écho au futur de l'auteur. Nicolas Martin
Comment expliquer que ces auteurs aient besoin de faire de la science-fiction, alors qu'ils pourraient très bien raconter les mêmes choses au présent ?
Peut-être parce qu'un essai sur l'écologie des exoplanètes, comme ce qu'on trouve dans "Dune", ne serait pas aussi plaisant qu'un roman épique. Le plus souvent, quand on veut parler de l'avenir et du présent, on se débrouille pour prendre une thèse et la mettre en mots, afin de trouver une histoire qui parle à notre cœur et pas seulement à notre intellect. Catherine Dufour
Risques et mérites de l'adaptation
Est-ce que cela ne fait pas un peu mal au cœur de voir ces livres portés à l'écran ? Certains fans de Tolkien et du Seigneur des anneaux ont pu être très déçus par l'adaptation de Peter Jackson.
C'est un débat de puristes, de spécialistes : comment adapter une œuvre littéraire ? Quand c'est un livre-univers, c'est vraiment complexe. Le réalisateur doit traduire le langage littéraire en mise en scène, et quand il est très riche, c'est difficile. Deuxièmement, on doit toujours être un peu déçu car le lecteur s'imagine le monde du livre, et c'est notre propre transcription en images, qu'on ne va pas retrouver dans le choix du réalisateur, qui a une autre vision que nous. A chaque fois, il peut y avoir cette petite déception, mais on peut ne pas être déçu aussi : transposer ces grandes œuvres en images permet aussi de toucher des plus jeunes générations. Natacha Vas-Deyres
C'est une question qui se pose chez les amateurs de science-fiction : pourquoi refaire, aujourd'hui, dans les années 2020, une adaptation de "Dune", alors qu'il y a peut-être d'autres textes contemporains qui mériteraient d'être plus mis en valeur ? Finalement, la réponse à la question est sa propre négation : pourquoi ne pas le faire, au contraire ? Nicolas Martin
Science-fiction et littérature générale
Catherine Dufour, lorsqu'il s'agit de définir la science-fiction, ce doit être un peu agaçant, car les auteurs de science-fiction font de la science-fiction, bien sûr, mais il y a aussi des auteurs de "littérature générale" qui marchent sur vos plates-bandes et qui ne le disent pas ?
Oui, en France du moins, il y a une opposition entre littérature générale et science-fiction. Pour résumer, dans l'ensemble, la littérature générale, c'est de la science-fiction qui se vend bien : 1984, c'est de la science-fiction, Le Meilleur des mondes, c'est de la science-fiction, L'Anomalie, c'est de la science-fiction, tout Houellebecq, c'est de la science-fiction... Catherine Dufour
Houellebecq, pourquoi ce serait de la science-fiction ?
La Possibilité d'une île, c'est l'histoire de clones. Les Particules élémentaires, c'est l'histoire d'un homme qui invente une forme d'immortalité. Dans les années 2000, Houellebecq disait lui-même : "moi, je ne dis jamais que je fais de la science-fiction, et je pense à tous mes collègues, auteurs, aussi doués que moi mais qui du fait de cette étiquette, se sont condamnés à un silence critique éternel". Catherine Dufour
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Collaboration
- Collaboration
- Production déléguée
- Stagiaire
- Réalisation