Qui de mieux placé qu’un homme qui a fréquenté le pouvoir, pour commenter la très récente élection présidentielle ? Décryptage en compagnie de Giuliano Da Empoli, Grand prix du roman de l'Académie française 2022 pour "Le Mage du Kremlin".
Ancien conseiller de l’homme d’Etat italien Matteo Renzi, Giuliano Da Empoli pose ce matin son regard sur les récents changements dans l'exercice du pouvoir en France et en Europe. Entre populisme et autocratie, quelques démocraties semblent en effet vouloir s’inspirer des méthodes de Moscou. Dans son premier roman “Le mage du Kremlin” - une histoire presque réelle - Giuliano Da Empoli revient justement sur les méthodes d’un conseiller de l’ombre qui a longtemps dessiné la stratégie politique de Vladimir Poutine. L'auteur de “Le Mage du Kremlin” (Gallimard, 2022), Grand prix du roman de l'Académie française 2022.
Comment classeriez-vous second tour qui a opposé deux mouvements, un mouvement qui est considéré comme étant de “l’extrême-centre” comme Emmanuel Macron l’a dit et puis un autre mouvement qui est parfois classé à l'extrême-droite, ou qui relève du bloc populaire pour certains de ces commentateurs ?
Giuliano Da Empoli : “D’abord, en tant qu’européen, je dois dire que j’ai accueilli, comme beaucoup, le résultat de dimanche avec un certain soulagement parce qu’on voit bien que les nationaux populistes et l’extrême-droite, bien qu’ils soient forts en France comme d’autres pays européens, n’ont pas en ce moment la force de faire basculer le système, comme ça été le cas en Europe dans la séquence entre 2016 et 2018 où on a vu la Grande-Bretagne basculer dans le Brexit, où l’on a vu l’Italie basculer en 2018, avec la constitution du gouvernement du mouvement 5 étoiles et de Matteo Salvini. Aujourd’hui en Europe, les résultats des élections, avec l’exception notable de la Hongrie, nous prouvent que les forces pro-européennes sont plus fortes.”
Avec qui débute votre expérience populiste ?
Giuliano Da Empoli : “Elle débute au début des années 1990 avec la grande enquête judiciaire, l'opération "Mains propres" qui a balayé tous les leaders et les partis traditionnels. Suite à ça, il va y avoir la défaite de tous les partis historiques qui ont gouverné l’Italie dans l’après-guerre. J’ai l’habitude de dire que l’Italie est la Silicon Valley du populisme, c’est-à-dire qu'à partir de ce moment-là on a eu des mouvements et des partis en tout genre jusqu’au Mouvement 5 étoiles avec des expérimentations de plus en plus bizarres. Si je regarde la France aujourd’hui, je suis frappé de voir trente ans plus tard une situation qui est, dans un système complètement différent, un peu similaire. C’est-à-dire que vous avez aujourd’hui un leader politique qui vient d’être réélu mais qui ne pourra plus l’être, et qui est une personne qui a pris la place des partis traditionnels, et puis il y a d’autres forces beaucoup plus radicales qui montent. C qui est surprenant dans le cas français, c’est qu'en général, ce sont de nouveaux leaders et de nouveaux mouvements qui portent les instances nationales populistes, alors qu’ici c’est plutôt de vieux leaders. On dit qu’ils sont sortis renforcés, légitimés, Mélenchon et Le Pen, de cette élection. Moi j’ai l’impression qu’ils ont aussi montré leurs limites, ils sont tous les deux très loin d’être majoritaires, donc on voit bien que tout le système est à reconstruire et à réinventer et c’est très frappant à voir."
Giuliano Da Empoli précise qu’il y a quelques éléments qui unissent Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, comme l'élément de la colère : “ Il y a un philosophe allemand qui s’appelle Peter Sloterdijk qui dit qu’au XXème siècles, nous avions des banques de la colère. La colère a toujours existé mais il y avait des collecteurs, et c’était par exemple les grands partis de la gauche qui prenaient les colères sociales qui étaient dans la société et faisaient un projet de réinvestissement de cette colère sur un projet de transformation sociale, future. Ça permettait d’une certaine façon de canaliser cette colère. Aujourd’hui ces banques de la colère n'existent plus et il y a des petits banquiers de la colère qui avancent."
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