Alors que débute véritablement la campagne présidentielle, nous retrouvons le défilé des sondages, et donc aussi les multiples critiques à leur égard : à quoi servent-ils ? A quelles conditions peuvent-ils être fiables et ne pas fausser le jeu démocratique ?
- Martial Foucault Professeur de sciences politiques et directeur du Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po
- Frédéric Dabi Directeur général de l’IFOP
Le début de la campagne présidentielle, marqué en premier lieu par le phénomène médiatique Eric Zemmour, ne peut pas non plus être dissocié d’une véritable frénésie sondagière : chaque jour ou presque, au cours des dernières semaines, un nouveau sondage retentissant annonçait une nouvelle percée du probable candidat d’extrême-droite, tout en prophétisant l’« effondrement » du Rassemblement national, d’Anne Hidalgo ou de Jean-Luc Mélenchon – c’est selon.
On sait pourtant qu’il a été très rare, depuis les débuts de la Ve République, de voir des sondages organisés si tôt en amont du vote, donner un résultat conforme à celui des élections effectives. A quoi servent alors les sondages et quelles sont les méthodes qui peuvent permettre de réduire leurs marges d’erreur ? En marquant les esprits de chiffres très aléatoires, ne risquent-ils pas d’influencer l’opinion publique et en ce sens, de constituer un véritable danger pour la démocratie ?
Nous en parlons ce matin en compagnie de Martial Foucault, directeur du CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po), professeur de science politique à Sciences Po Paris et spécialiste des questions de comportement électoral et d’économie politique, il a récemment cosigné Les Origines du populisme (Seuil, 2019). Il est rejoint en deuxième partie par Frédéric Dabi, analyste politique et directeur général de l’Institut français d’opinion publique (IFOP), récemment auteur de La Fracture. Comment la jeunesse d’aujourd’hui fait sécession (Les Arènes, 2021).
Toujours plus de sondages ?
S'agissant l'afflux de sondages, est-ce pire pour cette campagne présidentielle que pour les précédentes ?
J'ai l'impression qu'à chaque campagne présidentielle, on fait le même constat : on se dit que c'est pire que l'élection précédente. Et c'est vrai. L'arrivée massive des sondages dans la vie politique française, en 1981, a vu depuis à chaque campagne le nombre de sondages augmenter. La particularité par rapport à 2017, c'est peut-être le démarrage aussi tôt des sondages. Est-ce qu'une campagne présidentielle va se synthétiser autour d'une lecture de sondages ? Cela voudrait dire que les campagnes n'auraient plus de sens en tant que telles, mais aussi que les sondages remplacent la réflexion sur une opposition de programmes. Il y a un risque, pour le bon fonctionnement de notre démocratie, que les idées ne soient plus débattues. Martial Foucault
Un déni de démocratie ?
Un argument avancé contre les sondages est qu'ils font choisir un candidat plutôt qu'un autre, confisquant la démocratie à des corps comme les partis.
On voit en effet les appareils politiques s’en remettre bien trop aux sondages. Mais on ne peut pas comprendre ce que font ces sondages aux procédures de désignation sans rappeler deux choses : la France n’est pas singulière dans ce concert des nations où les sondages sont importants. En 2015-2016, le parti républicain états-unien ne voit pas de figure émerger, et c’est grâce aux sondages qu’émerge la figure de Trump. Deuxièmement, dans la vie politique française, on a coutume de dire que la Ve République a enfanté une personnalisation de l’élection présidentielle. Sans cette personnalisation, le rôle des sondages serait plus modeste. Martial Foucault
Quand on dit que les sondages fabriquent l'opinion par un effet de rétroaction, est-ce inévitable ? A-t-on affaire à un instrument de mesure ou de création de l'opinion ?
C'est la vraie interrogation quand on prend l'actualité de l'élection : est-ce que des citoyens qui n'avaient pas d'avis politique très fort début septembre, un mois plus tard, c'est parce que des sondages ont été publiés que l'électeur est désinhibé pour dire qui il préfère ? Aujourd'hui, la littérature en sciences sociales n'a pas encore montré s'il y a une vraie influence des publications sur l'opinion publique. Je serais plus nuancé, en disant que les sondages peuvent être un excellent instrument de connaissance des opinions. Mais tout dépend de la manière dont ils sont fait, dont on pose les questions, mais aussi dont on interprète les résultats : il y a une vraie difficulté, dans le commentaire de sondages, à produire des éléments de confrontation avec les instituts de sondage pour qu'ils ne donnent pas comme argent comptant leurs chiffres. Il faut accepter qu'il y a des sondages de mauvaise qualité. Martial Foucault
Métamorphoses des sondages
Il y a des critiques anciennes, mais aussi nouvelles sur les sondages : le fait de passer par internet, la difficulté à joindre les personnes par le fixe... Est-ce que les sondages que l'on a aujourd'hui sont entachés par des biais méthodologiques ?
On le dit à chaque élection. En termes de recueil de l'opinion publique, le passage, il y a une douzaine d'années, du téléphone à internet a marqué un progrès considérable : il y a une plus grande sincérité des réponses, sur les votes antérieurs. En ligne, on n'est pas face à un enquêteur ou une enquêtrice. Frédéric Dabi
Comme le recueil se fait aujourd'hui par internet, il est automatisé et les coûts sont moindres. Est-ce cela qui explique la multiplication des sondages, le fait que c'est moins cher ?
C'est surtout qu'on oublie systématiquement qu'un sondage n'est pas un pronostic, pas une prédiction, et qu'en politique, on ne peut pas s'en contenter. Frédéric Dabi
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