Les chefs d’États ont décidé unanimement de qualifier l’épidémie de coronavirus comme “une guerre sanitaire”. Et dans ce combat face à un ennemi invisible, viennent la réapparition de comportements belliqueux. Pouvons-nous considérer que nous vivons en temps de guerre ?
- Stéphane Audoin-Rouzeau Historien, directeur d'études à l'EHESS, spécialiste de la Grande Guerre
Xi Jinping l’appelle « guerre populaire ». Giuseppe Conti la décrit comme « l’heure la plus sombre de l’Italie ». Quant à Boris Johnson il la considère comme « une seconde bataille d’Angleterre». Vous l’avez compris, chaque chef d’État y va de son expression guerrière pour qualifier l’épidémie de coronavirus qui touche notre planète. Au-delà des discours, les comportements individuels comme collectifs rappellent eux-aussi certaines attitudes inédites en temps de paix. Et telles les Guerres du XXè siècle, ces postures amènent à voir le monde de demain comme différent de celui d’hier. Sommes-nous face à un point de rupture anthropologique ? L’Histoire peut-elle nous apprendre à préparer l’après 11 mai ?
Pour en parler ce matin, le directeur d’études à l’EHESS, spécialiste du fait guerrier contemporain et plus particulièrement de la Grande Guerre et Président du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne. Stéphane Audoin-Rouzeau, est l’Invité des Matins.
Références à la Grande Guerre
"Cette référence à la guerre n’est pas justifiée d’un point de vue historique car il n’y a pas d’ennemis identifiables ni de mort violentes. Il n’ y a pas de guerre mais un temps de guerre."
Nous sommes en temps de guerre car comme en ces moments il n’y a plus de futur, il n’y a plus de présent. Et comme ce temps de guerre est incertain, il détruit le temps présent. Stéphane Audoin-Rouzeau
"Il y a en fait un milieu favorable aux références à 1914-1918. Et la Grande Guerre est un événement historique très présent dans la mémoire française et il paraît assez logique que ce référent vienne en premier."
"La grande différence entre ce que nous vivons et nos contemporains est que nous sommes débarrassés de la mort violente. Il y a aussi la question de la durée. Nous en sommes à un mois et demi de lutte contre le virus. Durant la Grande Guerre, nous pleurions la mort de nos jeunes pendant 4 ans et demi."
Imaginaire de la fin de guerre et autres comportements belliqueux
Il y a une sorte d’imaginaire de fin de guerre. On croit toujours qu’à la fin des conflits, les parenthèses se referment. On comprend avec la crise de COVID-19 que ce jour n’arrivera jamais. Stéphane Audoin-Rouzeau
"On ne reverra pas le monde qu’on a connu car la crise politique qui va venir après l’union sacrée sera importante. Cette crise politique risque d’être extrêmement violente."
"La délation fait partie de la part d’ombre de nos sociétés que l’on voit à coté d’un héroïsme extraordinaire de ceux en première ligne. Il y a donc un contraste entre les comportements les plus sombres et les plus extraordinaires. On voit là la fragilité fondamentale de nos sociétés. C’est la manifestation d’un désarroi social."
Vers une crise anthropologique ?
"Je crois aussi que nous faisons face à une crise anthropologique dans la période dans laquelle nous vivons. En tant qu’humain, nous vivons un moment terrible car nous sommes ramenés à ce que Françoise Héritier appelle « le Socle biologique de l’humanité ». Nous sommes rappelés à notre condition animale."
Nous sommes ramenés à une réalité que nous avions oubliée ou que l’on ne voulait pas voir. Stéphane Audoin-Rouzeau
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