Universalisme, communautarisme, éternels débats ?

L'universalisme, une question planétaire ?
L'universalisme, une question planétaire ?  ©Getty - yuoak
L'universalisme, une question planétaire ? ©Getty - yuoak
L'universalisme, une question planétaire ? ©Getty - yuoak
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Depuis les manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd, les notions de communautarisme et d’universalisme retrouvent une place centrale au coeur des débats politiques. Peut-on rêver d’un universalisme sans entendre les plaintes des minorités ?

Avec
  • Justine Lacroix Professeur de science politique à l'université libre de Bruxelles, directrice du Centre de théorie politique

Racialisation, militantisme décolonial, « privilège blanc », revendications identitaires… voilà tout un champ lexical refaisant surface en France depuis la mort de George Floyd, il y a près d’un mois. Devenue un fait symbolique des violences policières dont les minorités font l’objet, l’affaire dépasse maintenant ce cadre. Elle cristallise désormais l’idéal d’un “universalisme républicain” prôné par Emmanuel Macron lors de sa dernière allocution. Peut-on rêver d’un idéal universaliste sans désavouer le passé ?  

Pour en parler, Justine Lacroix, professeure de théorie politique à l'Université libre de Bruxelles et co-auteure de “Le Procès des droits de l'homme: généalogie du scepticisme démocratique” est notre invitée. . 

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Sommes-nous dans une crise de l'universalisme ? 

Nous ne sommes pas en train de traverser une grande crise. C'est plutôt l'occasion de s'interroger sur ce que représente l'universalisme. Quand je suis le débat français on a souvent le sentiment qu'on aurait le choix entre d'un côté un universalisme républicain, invoqué comme un argument d'autorité et de tradition, ce qui est quand même un paradoxe puisque les lumières s'étaient érigées contre l'autorité et la tradition. Et puis d'autre part une sorte de relativisme culturaliste, un enfermement dans les cultures. En réalité ce n'est pas comme ça que les choses se passent. L'universel ne relève pas d'une sorte de dogme surplombant, d'un ensemble de principes qu'on accepte tels quels. L'universel c'est une aspiration qui est toujours en construction. Qui est traversé d'une réflexion sur les façons de faire progresser ces aspirations universelles. Justine Lacroix

"On prend certaines outrances ou certains dérapages comme si l’antiracisme était la menace à combattre mais il ne faut pas se tromper de combat. Ce sont les formes de racisme qu’il faut combattre et pas l’inverse."

La notion de privilège blanc 

La notion de privilège blanc je la comprends dans une certaine mesure, s'il s'agit de désigner cette situation où, par le fait que nous sommes blancs, nous avons accès par exemple facilement à un logement, un emploi, à un certain nombre de choses sans même nous en rendre compte. Je dirais que je n'utiliserais pas cette notion, même si je peux en comprendre l'intention, car le  privilège renvoie à quelque chose qu'il faudrait en principe abolir. Or, le souci aujourd'hui n'est pas de savoir si les blancs doivent avoir accédé facilement à un logement, etc. La question c'est de se demander pourquoi d'autres n'ont pas accès. Justine Lacroix

Va-t-on vers une Union Européenne solidaire ? 

" Au début du confinement, j’étais très pessimiste sur l’Union Européenne. L’Europe a très mal commencé cette crise en partant en ordre dispersé. Mais les choses se sont retournées depuis que l’Allemagne a accepté une mutualisation des dettes. Maintenant, il faut rester prudent car on ne sait pas si le plan de relance de 750 milliards sera adopté mais s'il l’est l'Europe montrerait sa volonté de faire preuve d’une solidarité inédite."

Il y a d’un côté la prise de conscience que ce virus se joue des frontières. Dans les aspects positifs il y a aussi la rupture du dogme néolibéral. Mais de l’autre, il y a aussi un renforcement du souverainisme. (...) L’Europe c’est le produit de rapport de forces entre Etats. Mais l’Europe doit avant tout être un terrain de lutte démocratique. Justine Lacroix

Le modèle actuel doit-il changer d'horizon ? 

Je trouve qu’Emmanuel Macron prête beaucoup de crédit à l’influence des universitaires sur le débat public. Et je ne pense pas que leur influence dans le débat médiatique  français soit en quoi que ce soit équivalent aux théoriciens ayant des positions radicales. C’est faire un mauvais à double titre. C’est traiter aux universitaires une influence qu’ils n’ont pas que ceux présents dans l’espace public tenant des positions  radicalement opposés. Et deuxième chose, c’est mépriser le travail effectif fait par les  universitaires. La plupart de ces penseurs ne réfutent pas la notion d’universel. Ils avancent l’idée d’un universel latéral se fondant sur la reconnaissance des différences mais la reconnaissance qu’il y a plusieurs voies vers l’universel et non pas une seule voie vers la démocratie. Justine Lacroix

" On entend souvent que ceux qui cherchent à déboulonner des statuts cherchent à réécrire l’histoire. Mais il faut rappeler que toutes les révolutions sont passées par là. Ce mouvement est normal. Maintenant, il faut peut-être avoir un débat à ce niveau là. Certaines statues ont sans doute davantage leur place dans des musées que sur des places publiques."

Il faut être extrêmement vigilant aujourd'hui. Nous avons accepté de voir suspendu un certain nombre de libertés privées essentielles pour lutter contre l'épidémie. Ça ne me pose pas de soucis mais ce qui doit être préservé à tout prix c'est notre capacité de délibérer, de contester et de contrôler, tant que notre capacité de de délibérer, de contester et de contrôler sera maintenue, nos libertés privées nous les récupérerons. Justine Lacroix

Vous pouvez (ré)écouter l'interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.

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