Yasmina Reza : "Le rire provient d’une mise à distance que la littérature produit"

Yasmina Reza à Barcelone, en 2014
Yasmina Reza à Barcelone, en 2014 ©Maxppp - Pascal Victor/EFE/Newscom
Yasmina Reza à Barcelone, en 2014 ©Maxppp - Pascal Victor/EFE/Newscom
Yasmina Reza à Barcelone, en 2014 ©Maxppp - Pascal Victor/EFE/Newscom
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L'écrivaine et dramaturge Yasmina Reza est l'invitée des Matins pour parler de son nouveau roman "Serge", paru chez Flammarion.

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C’est l’histoire d’une fratrie de trois enfants qui est très liée alors qu’elle se déchire, quand d’autres familles « s’effilochent, se dispersent, et ne sont plus unies que par un fin ruban sentimental ou conformiste. » Serge, le nouveau roman de Yasmina Reza, est un roman familial délicieusement sarcastique, avec son lot de clichés subtilement maniés et de bonnes répliques… C’est aussi l’histoire d’un devoir de mémoire un peu absurde, qui tourne en ridicule l’excursion laborieuse d’une famille juive d’aujourd’hui partie se recueillir à Auschwitz…

La famille comme une prison, la mémoire comme un simulacre : Serge est-il un roman sarcastique ou carrément critique vis-à-vis de nos sociétés ? Nous en parlons avec Yasmina Reza.

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Yasmina Reza :

J’ai toujours eu un Serge dans mes livres, c’est une sorte de fétiche. Il a un rôle plus ou moins important, parfois il ne fait que passer, on parle de lui… Et là il a le rôle-titre. Ce n’est jamais le même, c’est un personnage littéraire qui va de vie en vie.

Je mets en avant la part de ridicule qu’il y a dans toute chose. Pour autant il n’y a pas de satire ou de sarcasme. Je ne cherche pas à me moquer ni à faire rire. Le rire provient d’une mise à distance que la littérature produit.

"Le ridicule fait partie de l’humanité"

La famille est un joyau pour l’écriture. C’est le lieu de toutes les folies, de toutes les impatiences. On se permet en famille tout ce qui n’est pas permis à l’extérieur, où les rapports sociétaux sont plus policés.

Tout commentaire sur ce que je fais est parasitaire. La littérature n’est pas la vie courante, toutes les ambiguïtés et les contradictions sont maintenues à bonne échelle. On ne dévoile pas des vérités, on les suggère ou on les laisse à l’interprétation.

C’est une question sans fin la littérature. Si derrière on passe pour exprimer le sens, on redonne quelque chose de compact au lecteur. Les seules fois où j’ai donné quelques des clés sur les livres que j’ai écrit, non seulement j’ai pensé que je m’étais trompée, mais j’ai eu le sentiment de les rétrécir et je m’en suis beaucoup voulue.

"Un monde ivre de mémoire"

Nous vivons dans un monde ivre de mémoire. Pas un jour ne se passe sans qu’il n’y ait de commémoration. Je ne comprends pas ce que cela signifie car la mémoire est neutre, elle n’a pas de fonction, pas de saveur. Je peine à comprendre le rôle qu’est censée remplir la mémoire pour empêcher aux choses du passé de se reproduire.

La mémoire sensible, émotionnelle, est fondamentale pour l’être. Mais c’est plus qu’une mémoire : c’est presque une formation génétique. Cette mémoire-là a droit de cité, elle a du sens, mais elle ne devrait pas désigner la même chose que cette chose mémorielle qu’on nous enseigne.

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