"La combinaison de l'intelligence et du courage" : Jean Cavaillès par Etienne Klein

Jean Cavaillès fut mobilisé au début de la 2nd Guerre mondiale, avant d'entrer en résistance.
Jean Cavaillès fut mobilisé au début de la 2nd Guerre mondiale, avant d'entrer en résistance.
Jean Cavaillès fut mobilisé au début de la 2nd Guerre mondiale, avant d'entrer en résistance.
Jean Cavaillès fut mobilisé au début de la 2nd Guerre mondiale, avant d'entrer en résistance.
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Philosophe, logicien et mathématicien français, Jean Cavaillès fut l'un des héros de la Résistance intérieure. Alliage de l'intelligence aiguisée et d'un courage inoxydable, il est le choix de l'évidence pour le producteur et physicien, Etienne Klein.

"Qui souhaiteriez-vous voir entrer au Panthéon ?" Quand cette question a été posée à Etienne Klein, producteur de Sciences en question, la réponse lui ai apparu aussi tôt : Jean Cavaillès.

A ses yeux, Jean Cavaillès représente la combinaison la plus parfaite de l’intelligence analytique la plus aiguisée et du courage physique le plus inoxydable. Il fut agrégé de philosophie mais pendant la guerre, on le surnommait "l’agrégé du sabotage". C’est lui qui a pour partie inspiré le personnage de Luc Jardie, joué par Paul Meurisse dans L’Armée des ombres, le film de Jean-Pierre Melville tiré du roman de Joseph Kessel.

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Né le 15 mai 1903, fils d’officier, Jean Cavaillès est élevé dans les valeurs de la rigueur protestante. Il poursuit de brillantes études au gré des affectations de son père. En 1923, il est reçu major au concours d'entrée de l'École normale supérieure après l'avoir préparé en candidat libre. En 1927, déjà titulaire d'une licence de mathématiques, il devient agrégé de philosophie. Après son service militaire, il séjourne en Allemagne, où il assiste à la montée du régime nazi. Il collabore avec la mathématicienne Emmy Noether, à la publication de la correspondance entre Richard Dedekind et Georg Cantor sur la question de l’infini en mathématiques.

En 1937, il soutient à la Sorbonne deux thèses : Méthode axiomatique et formalisme et Remarques sur la formation de la théorie abstraite des ensembles, sous la direction de Léon Brunschvicg, puis devient maître de conférences à l’Université de Strasbourg.

Un engagement "logique" dans la Résistance

Mobilisé en septembre 1939, en tant qu’officier, il est cité à deux reprises pour son courage physique, mais est fait prisonnier le 11 juin 1940 en Belgique. Il s'évade pour rejoindre à Clermont-Ferrand l'université de Strasbourg qui s’y était repliée. Parallèlement à son activité d’enseignement, qu’il reprend, il fonde avec Lucie Aubrac et Emmanuel d’Astier de La Vigerie le mouvement de résistance "Libération-Sud". En 1941, il est nommé professeur de philosophie des sciences à la Sorbonne. Il participe en même temps à la résistance au sein du mouvement Libération-Nord, puis s'en détache pour fonder en 1942 le réseau de renseignement Cohors.

Ses camarades de clandestinité furent unanimes : Cavaillès est entré en résistance non par fidélité à un parti ou à une ligne politique, mais "par logique". La lutte contre l’inacceptable est inéluctable, donc nécessaire, un point c’est tout. C’est son côté spinoziste. Et par lutte, il ne faut pas entendre l’indignation chuchotée dans les couloirs, ni le porte-à-porte patriotique ou l’alimentation des boîtes aux lettres en tracs vengeurs. Par lutte, il faut entendre le combat les armes à la main.

La Conversation scientifique
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"Un philosophe mathématicien bourré d’explosifs"

Cavaillès fut donc un combattant, un résistant, un chef de réseau, un homme d’action, et même de coups de main, qui fit gaillardement sauter des ponts, des transformateurs, des trains et des usines.

Jean Cavaillès fut en somme "un philosophe mathématicien bourré d’explosifs", pour reprendre les mots de Georges Canguilhem. Le mot explosif était ici à prendre au sens propre et au sens figuré, car sa pensée était elle aussi radicale : selon lui, la tâche de la philosophie doit devenir fille de la rigueur, c’est-à-dire s’apparenter davantage aux mathématiques qu’à la littérature : philosopher, c’est démontrer, et non pas verser dans le psychologisme ; c’est une affaire de concepts et non pas l’épanchement des états d’âme de l’intellect.

Arrêté et emprisonné à plusieurs reprises, évadé chaque fois sauf la dernière, il ne renonça jamais, ni à l’action la plus subversive, et la plus physique, ni à la réflexion la plus abstraite. En 1942, dans la solitude héroïque d’une prison, il écrivit un ouvrage intitulé Sur la logique et la théorie de la science, qui ébranlera plus tard la scène philosophique.

Cavaillès fut arrêté par la Gestapo en août 1943, à Paris, puis condamné à mort et exécuté en avril 1944. Son cadavre fut jeté dans une fosse commune, avec comme seule indication "l’inconnu n°5". Ceux qui le fusillèrent n’avaient sans doute pas à l’esprit que, pour un philosophe mathématicien, être appelé l’"inconnu" était la plus belle des épitaphes.

Etienne Klein est producteur de Science en questions