Faire entrer l’écrivain Albert Cossery au Panthéon, tel est le choix de Tewfik Hakem. Pour quelles raisons avouables ou moins avouables a-t-il choisi de panthéoniser l’auteur de "Mendiants et orgueilleux" ?
Comme le disait la dernière des panthéonisées, j'ai deux amours deux amours en littérature française du XXe siècle. Deux Albert : Albert Camus et Albert Cossery. Je ne pouvais pas échapper au premier pour des raisons d’histoire-géo personnelle, et aussi parce que Camus n’a jamais cessé d’être présent depuis le lycée jusqu’à aujourd’hui. L’autre Albert, Cossery, l’Egyptien, que Camus l’Algérien a beaucoup aidé à faire connaître à ses débuts, est, lui, beaucoup moins exemplaire à pleins d’égards, ce qui le rend d’autant plus sympathique.
Plutôt que Camus le monument, Camus le méritant, Cossery l’auteur culte, Cossery le roi des écrivains feignants qui a fait le choix d’écrire très peu de livres mais qui a eu une vie plus longue, plus douce, et autrement plus romanesque. Ce qui lui a permis d’avoir à travers le monde des inconditionnels, toutes générations confondues. Si l’idée de cette chronique est d’envoyer au Panthéon une personnalité qu’on aurait aimé être, pour moi c’est Albert Cossery. Et tant pis pour l’Algérie ! Entre la justice et la mère de Camus, je choisis la philosophie orientale et l’ironie mordante du fils du Nil.
Hommage aux exclus, aux contemplatifs, aux fainéants
Dans le monde de Cossery, les marginaux du Caire sont des sages, les vagabonds des visionnaires, les vendeurs de haschich des poètes, les mendiants culs-de-jatte des dandys, le dénuement est un art de vivre, et le monde appartient aux fainéants. L’auteur de Mendiants et orgueilleux, Les Fainéants dans la vallée fertile, ou encore de Une ambition dans le désert dénonce dans ses romans le profit matérialiste, la vanité des puissants et rend hommage aux contre-modèles du monde moderne, aux exclus, aux contemplatifs, aux petites gens des quartiers populaires du Caire, où il né en novembre 1913, quelques jours à peine avant l’autre Albert, né en Algérie.
Mère au foyer, père rentier dès sa prime jeunesse, le petit Albert apprend précocement qu’on peut bien vivre sans trop travailler, et sans rien posséder. Avant de quitter l’Egypte pour s’installer à Paris en 1945, Cossery a déjà publié au Caire La Maison de la mort certaine, salué à sa sortie par Henry Miller, et remarqué par Albert Camus qui le conseille à l’éditeur Edmond Charlot.
Quand il arrive à Paris, Cossery n’a dans sa valise que deux costumes et une lettre de recommandation d’Henry Miller justement. Quand il meurt, tranquillement dans son sommeil le 22 juin 2008 à l’âge de 94 ans, il n’a plus guère d’affaires dans sa chambrette de La Louisiane, le modeste hôtel de la rue de Seine, dans le Quartier Latin où il a vécu pratiquement toute sa vie. Entre temps, une vie remplie de belles choses de la vie parisienne, les femmes, l’amour, la musique, la fête, les bons restaurants, les voyages, plus quelques romans, savoureux, et quelques nouvelles, mordantes.
"Je n’écris pas plus d’une ligne par jour" disait-il. Mais c’étaient toujours des phrases qui claquent. En arabe dans le contexte, en français dans le texte, le panache allié au style, de la bonne littérature. Alors, oui Cossery au Panthéon ! Pour l’ensemble de son œuvre et de sa vie. Pour son éloge de la paresse, son soufisme laïque, sa poésie, son humour fin. Ceux qui l'ont lu doivent bouillonner. Cossery au Panthéon, lui qui avait refusé par principe la Légion d’honneur ? S’il y a bien un écrivain qui a tout fait pour que ses vieux os ne déménagent jamais au Panthéon, c’est bien lui. À la question : "Pourquoi écrivez-vous ?", il avait répondu : "Pour que quelqu'un qui vient de me lire n'aille pas travailler le lendemain".
La juste place d'un dandy égyptien, prince des métèques
Que révèlent au juste ces chroniques de L’Open Panthéon ? "Dis-moi qui tu envoies au Panthéon, je te dirai qui tu es" ? Le choix des producteurs et productrices de France Culture reflète-t-il leur personnalité ou le sens qu’ils veulent donner à leur (é)mission ? La question est également posée de manière récurrente aux candidats à l'élection présidentielle chez nos confrères de France Inter où elle a d'ailleurs désarçonné les premiers invités des ces matinales spéciales. Et même agacé Jean-Luc Mélenchon qui n’y a pas répondu. Parions que les conseillers en communication des autres candidats doivent plancher en ce moment pour trouver la personnalité "panthéonisable" qui incarne le mieux les valeurs défendues par ceux-ci. On se souvient que Jacques Chirac avait organisé l'entrée au Panthéon d'André Malraux (1996) et d’Alexandre Dumas (2002) et que Nicolas Sarkozy en revanche a échoué à y faire transférer les restes d'Albert Camus en 2009, à l’occasion du 50e anniversaire du discours de réception de son prix Nobel de littérature.
Albert Cossery n’a pas de souci à se faire, personne n’osera s’en réclamer. Aucun homme politique ne prendra la responsabilité de rendre hommage à un fainéant qui n’a même pas trouver le temps d’aller se faire naturaliser. Florian Delorme rappelait dans cette même chronique qu’être de nationalité étrangère n’était théoriquement pas un obstacle pour entrer au Panthéon. Mais vu la façon dont a commencé cette campagne, je ne vois personne dans le champ politique qui prendrait le risque d’honorer ce prince des métèques. Tant pis. La place de Cossery n’est pas au Panthéon, mais dans votre bibliothèque. Car ce dandy égyptien de Saint-Germain est l’un des plus grands écrivains français du XXe siècle.
Tewfik Hakem est producteur des émissions Affinités Culturelles et Esprit des Lieux.