Sous cette courte lettre d’Alain-Fournier qui débute dans la froideur d’un “chère madame” pour s’achever dans l’expression distante d’une “amitié très respectueuse” se dissimule l’histoire d’un coup de foudre, d’un amour fou, impossible, empêché. Un grand amour rendu mythique par sa transposition dans l’un des romans les plus célèbres de la littérature française, Le Grand Meaulnes .
Tout a commence le Ier juin 1905, jour de l’Ascension, à la sortie d’une exposition au Grand Palais. Le jeune Henri-Alban Fournier, 19 ans aperçoit alors une grande jeune fille blonde, élégante, qui lui fait penser à une hampe de lilas blanc, “si belle, écrira-t-il, que la regarder touche à la souffrance ”. Il la suit jusqu’à son domicile, la guette plusieurs jours, parvient à lui parler, mais apprend, hélas, que celle qui s’appelle Yvonne Toussaint de Quièvrecourt est fiancée. Elle se marie en effet l’année suivante avec Amédée Brochet, un médecin de marine qui l’emmènera vivre successivement à Brest, Toulon et Rochefort. Pendant huit ans, Alain-Fournier, qui a pris ce nom pour se distinguer du coureur automobile Henry Fournier, est obsédé par cette rencontre bouleversante. Il ne cesse de penser à elle, l’évoque à moult reprise dans son abondante correspondance. Notamment celle qu’il entretient avec Jacques Rivière, ce meilleur ami devenu son beau-frère en 1909.
Les années passent. Alain-Fournier, qui a échoué au concours de Normale Sup et à sa licence d’anglais, devient journaliste à Paris Journal et commence à publier quelques poèmes, essais et contes. En 1910, il entame une liaison de deux ans avec Jeanne Bruneau, une petite modiste, puis, à partir de juin 1913 avec Pauline Benda.
De huit ans son aînée, c’est la femme de Claude Casimir-Perier, plus célèbre au théâtre sous le nom de Madame Simone. Mais deux mois plus tard, Jacques Rivière l’informe qu’il a retrouvé la famille d’Yvonne de Quièvrecourt à Rochefort. Alain Fournier s’y déplace, la découvre mère de deux enfants – ce qui le désespère - puis la revoit le temps de quelques conversations dans un parc, lui avouant son amour malheureux. Elle semble émue, lui confie qu’il lui est arrive de penser à lui, mais à quoi bon remuer le passé, le destin n’en a –t-il pas décidé pour eux autrement ?
A la suite de ces chastes retrouvailles, Alain-Fournier lui écrira encore quelques lettres – dont celle-ci, datée de septembre 1913 - mas ne la reverra plus - ou plutôt si, mais recréée dans son œuvre sous les traits magiques d’Yvonne de Galais, dans Le Grand Meaulnes , publié un mois plus tard. “Le héros de mon livre , écrira-t-il, est un homme dont l’enfance fut trop belle. Pendant toute son adolescence, il la traîne après lui. Par instants, il semble que tout ce paradis imaginaire qui fut le monde de son enfance va surgir. Mais il sait déjà que ce paradis ne peut plus être. Il a renoncé au bonheur. ”
Un an plus tard, Alain-Fournier tombe sous les balles allemandes à Saint-Rémy, non loin de Verdun.
Quant à Yvonne, elle lui survivra durant 50 ans, sans que nul ne sache ce qu’elle a pensé de son inoubliable double de papier.
24 septembre 1013, 9h du soir, Paris
Chère madame,
Je viens de rentrer à Paris. Je ne vous ai pas envoyé, puisque vous me l’avez fait défendre, une longue lettre que j’avais écrite en réponse à votre lettre du 15 septembre.
Je suis affreusement triste et découragé.
Voulez-vous embrasser tendrement pour moi vos eux charmants bébés
Et croire à mon amitié très respectueuse
Henri-Alain Fournier
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