> retrouvez le fac-similé de cette lettre sur le site du Musée des lettres et manuscrits Incarcéré par lettre de cachet au fort de Vincennes depuis 1777, Sade n’a le droit d’écrire sous contrôle qu’à sa femme qu’il supplie, rudoie, flatte, insulte au gré de ses humeurs et de ses besoins. Si la douleur, la fureur et la hauteur constituent la tonalité dominante de cette extraordinaire correspondance, trois obsessions de l’indomptable marquis s’y condensent: l’incertitude sur son terme, l’éducation de ses enfants, sa haine de sa belle-mère, Mme de Montreuil, responsable de son emprisonnement comme du cortège de souffrances qui l’accablent. Néanmoins, “le malheur ne m’avilira jamais, écrit-il. Je n’ai point dans les fers pris le cœur d’un esclave et ne l’y prendrai, j’espère, jamais.”
En témoigne cette missive cinglante de janvier 1784, dans laquelle il s’insurge contre le projet de faire endosser à son fils ainé Louis-Marie, 17 ans, l’uniforme du régiment d’infanterie de Rohan-Soubise au détriment de celui des Carabiniers de Monsieur dans lequel il avait lui-même servi. Mais ce n’est pas tout : éducation équestre, domesticité, projets d’établissements, résidences, rien de ce qui concerne sa progéniture ne saurait faire l’objet d’autres décisions que les siennes. Des décisions qui resteront lettre morte mais pas forcément pour les raisons que l’imaginatif marquis pouvait concevoir. Car si son fils cadet, Claude-Armand, s’est bel et bien marié avec l’une de ses cousines et a fait souche, ce n’est pas le cas de Louis-Marie, ni de leur soeur Madeleine-Laure, disparus respectivement en 1809 et 1844 sans postérité. Même déconvenue posthume quant au post-scriptum évoquant la répartition des titres de comte et marquis selon la règle de l’aînesse. Car depuis la mort de l’auteur des Cent-Vingt Journées de Sodome jusqu’à aujourd’hui, “tous les aînés de la maison de Sade, rappellait Gilbert Lely, ont repoussé avec effroi le titre de marquis: il eût trop dangereusement évoqué le souvenir d’un aïeul scandaleux dont il ne convenait de parler qu’à voix basse.
J’espère, madame, que vous aurez rendu à vos parents les résultats de notre dernière conversation, relativement à l’emploi ridicule que l’on destine à votre fils. Je vous prie de lui remettre cette lettre, afin qu’il y voie mes intentions, et vous me répondrez de sa désobéissance. Je prie très instamment votre mère de ne point se mêler de mes enfants. Je n’ai nullement besoin ni de ses petites tournures, ni du grand crédit de son cadet de Normandie, pour placer mon fils au service. Je n’ai besoin que de ma liberté. Que je sois maître de mes actions aujourd’hui, et demain votre fils sera placé comme il doit l’être et comme il convient qu’il le soit. Je vous avais d’ailleurs écrit et dit mille fois que certainement aucun de mes enfants ne quitterait ou son école, ou votre maison, que je n’aie passé un an avec lui. Rien dans l’univers ne me fera départir de cette opinion. Ni l’un ni l’autre ne joindront non plus aucun corps, et qu’ils ne sachent monter à cheval et qu’ils n’aient reçu nu domestique de ma main. Réfléchissez bien à ces trois points, et croyez qu’aucun motif de quelque nature qu’il puisse être ne pourra m’en faire relâcher. Si l’on agit malgré mes intentions, il ira sans doute, je ne puis l’empêcher puisque je suis en prison, mais le premier usage que je ferai de ma liberté sera de le faire quitter. Voilà ce dont je vous donne ma parole d’honneur la plus sacrée et la plus authentique. Croyez-moi, madame. Ne cherchez pas m’élever contre mes enfants. On fait tout ce que l’on peut pour cela, et j’ose affirmer que cela n’est pas adroit. (…)
Comme la tête de madame votre mère va toujours très loin, en minutant ce bel emploi pour votre fils, elle aura sans doute minuté aussi quelque beau mariage pour dans quelques années. Afin de n’avoir plus à revenir sur toutes ces choses, j’aurai l’honneur de vous déclarer, et de vous certifier par la même lettre, madame, et sous le même sceau de ma parole d’honneur, que très sûrement je n’accorderai mon agrément pour aucun mariage, qu’i n’ait 25 ans faits. Mon intention est que mon fils ne se marie jamais ailleurs qu’à Lyon ou à Avignon, et pour rien au monde je ne lui souffrirai ni à lui, ni à vous, ni par conséquent à moi, d’établissement à Paris. Il y a longtemps que je vous ai dit, madame, que mes projets après tout ceci étaient d’aller vivre dans ma province. Très assurément mes enfants m’y suivront, et très assurément ils n’auront ni d’autre mariage ni d’autres établissement que là. (…)
Vous devez voir au style de cette lettre qu’elle est écrite avec tout le sang-froid possible. Elle contient les mêmes choses que je vous répète depuis 7 ans, et vous pouvez être bien ^sure que je changerai pas d’avis. Je finis en vous donnant et signant ma parole d’honneur la plus authentique et la plus sacrée.
De Sade
Au reste, madame, à présent que voilà votre fils aîné une espèce de personnage dans le monde, je vous dois prévenir que mon intention est de suivre l’usage établi dans les familles, où le chef prend le titre de comte, et laisse celui de marquis à son fils aîné. Je ne ferai, d’ailleurs, relativement à moi, que ce que le roi veut sans doute que je fasse, puisque je n’ai pas un seul brevet, ni de ma charge, ni de mes emplois, pas une seule lettre de princes ou de ministres qui ne me soit adressé sous ce titre. Je vous dis cela afin que vous y accoutumiez le public, qui, une différente habitude prise, changerait difficilement après ses idées. Et moi, je ne changerai sûrement pas les miennes.
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