Malgré la récession mondiale, les marchés boursiers se rapprochent des sommets atteints avant le début de la crise de la Covid-19. Une déconnexion pointée par des experts du FMI qui s'inquiètent de l'appétit pour le risque, l'endettement des entreprises, et les milliards distribués par les banques centrales.
Que se passe-t-il sur les marchés financiers ? Au début de la pandémie à la mi mars, tous les indices plongeaient, et puis ça s’est arrêté. Depuis, cela remonte.
Plus de crise financière en vue, et au contraire un nouveau "rallye" vers les actions.
En Europe, le CAC 40, le Dax allemand et le Footsie britannique ont quasiment récupéré la moitié de ce qu’ils avaient perdu. Aux Etats Unis, le Dow Jones, et le S&P 500 ont fait mieux que cela, et le Nasdaq, l’indice des valeurs technologique a touché un nouveau sommet le 23 juin.
Dans le même temps, les prévisions les plus sombres et incertaines de l’histoire ont été publiées, 47 millions d’Américains ont pointé au chômage, et la pandémie a continué de faire des morts.
A lire/ écouter : 2020 : les prévisions les plus sombres et incertaines de tous les temps
Déconnectés de l’économie les marchés financiers ? Plusieurs médias américains se sont emparés de la question récemment, notamment CNBC et Bloomberg, la chaine financière.
Quelque chose ne tourne pas rond sur les marchés boursiers. Après la chute, les actions américaines sont parties pour effacer leurs pertes. Le marché a-t-il perdu contact avec la réalité ? Bloomberg, le 18 juin 2020.
Les marchés déconnectés ? So what ?
Wall Street versus Main Street, la finance contre l’économie réelle, on ne découvre pas cette opposition. Depuis la crise de 2008, des hommes politiques de tout bord l’ont déploré, des économistes se sont officiellement déclarés atterrés, des milliers d’écrits ont été publiés, et des mouvements sociaux l’ont dénoncé, comme Occupy Wall Street à l’automne 2011.
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Alors quoi de neuf me direz-vous ?
Rien, sauf que le divorce s’est accentuée depuis 2008, que la crise du coronavirus l’a encore aggravé et porté à un point d’indécence inégalé.
Ce n’est pas seulement une question morale, c’est un danger sur le plan économique, car dans l’euphorie se créent les bulles et que les bulles sont d’autant plus grosses que les banques centrales injectent des milliards dans l’économie.
Or depuis la pandémie, elles ont promis d’en injecter 6 000 milliards de plus, mais cette nouvelle dose, comme les précédentes a des effets pervers.
La spirale est infernale, car c’est le médicament utilisé pour sortir de la crise de 2008, qui a accentué le divorce entre marchés et économie "réelle", et que c’est encore ce médicament que l’on utilise contre le nouveau coronavirus.
Ce médicament s’appelle programme d’achat d’actif, QE, plan d’urgence pandémique, PMCCF et autres sigles incompréhensibles. On peut donc lui adosser ce chiffre : 6 000 milliards de dollars.
Le médicament, ce sont les fameuses liquidités, le docteur, les banques centrales. Docteur ou dealer ? La frontière est mince. Et le patient, qui est-ce ?
Il y a deux patients dans la pièce, et c’est ce qui rend la situation complexe pour le docteur dealer.
Il y a les Etats qui trouvent toujours preneurs pour leur dette puisque les banques centrales les rachètent derrière, et il y a les marchés financiers qui se sont habitués à ces injections à haute dose, ce qui les rend insensibles au risque, et à la recherche de rendement, les taux étant très bas.
Avant la crise de 2008, la bourse était un marché d’anticipation. On anticipait les résultats futurs des entreprises et on croyait en la main invisible du marché. Aujourd'hui, la main n’est plus invisible, c’est la main bien visible des banques centrales. Elle est artificielle et incite à prendre toujours plus de risque. Les rendements des Etats étant faibles, les traders et les investisseurs vont vers des produits plus risqués pour augmenter les profits de leur portefeuille et leurs bonus : junk bonds, dérivés, ou actions. Sous l’action des banques centrales, les taux d’emprunt des Etats ont chuté, alors qu’ils sont censés mesurer le risque de défaut de paiement, et ce risque s’est transformé en risque d’éclatement des actifs boursiers et immobiliers. Même la BCE reconnait dans ses dernières minutes, que les effets négatifs non désirés pourront à terme surpasser les effets positifs actuels. Anice Lajnef, ancien trader.
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A lire / écouter : Covid-19 : Banque centrale qui sauve, banque centrale qui nuit
A rebours des louanges que l'on se doit de tresser en ce moment aux banques centrales, le FMI s’inquiète depuis plusieurs semaines de ces injections de "morphine monétaire".
Il y a énormément de liquidités, cela aide les pays, cela aide les entreprises, mais cela fait grimper le prix des actifs, et accroît l’appétit pour le risque. On doit surveiller cela de près. Kristalina Georgieva, directrice du FMI.
Un cycle infernal
L’appétit pour le risque fait monter le cours des actions, même si l’économie mondiale connait une récession historique. Pour le Nasdaq (indice des valeurs technologiques), cela peut se comprendre, puisque les entreprises de la tech ont engrangé des bénéfices pendant le confinement et que leur avenir est prometteur, mais pour les autres secteurs ?
Jamais on avait vu un tel découplage, constate un article publié le 25 juin 2020 sur le blog du FMI. Historiquement, les marchés boursiers suivaient l’indice de confiance des consommateurs, plus, depuis le nouveau coronavirus. Elle est là, la nouvelle déconnexion. Celle de plus.
La déconnexion entre les marchés financiers et l'économie réelle peut être illustrée par le découplage récent entre la montée en flèche des marchés boursiers américains et la chute de la confiance des consommateurs (deux indicateurs qui ont historiquement évolué ensemble), ce qui soulève des questions sur la durabilité du rallye, sans le coup de pouce fourni par les banques centrales. Tobias Adrian et Fabio Natalucci. Fmi.
Les auteurs de cet article intitulé : « Les conditions financières se sont assouplies, les défaillances pourraient être massives » ne sont pas des experts lambda. Ils ont aussi rédigé le rapport sur la stabilité financière que vient de publier le FMI.
Ils parlent d’un "bras de fer entre l’économie réelle et les marchés". Pour le moment, les marchés ont le dessus, mais cela va-t-il durer ? Cela peut-il durer ?
Tobias Adrian, directeur du Département marchés monétaires et financier du FMI pèse ses mots en présentant ce rapport.
La récession pourrait être plus longue et plus forte que prévue, il pourrait y avoir une deuxième vague de covid-19, des tensions géopolitiques, des soulèvements sociaux du fait de l’accroissement des inégalités, et tout cela pourrait saper l’excès d’optimisme des investisseurs. Tobias Adrian.
Réveillez-vous ! semble vouloir dire, malgré son calme, cet économiste au monde de la finance.
En jouant les oiseaux de mauvais augure, le FMI cherche sans doute à éviter le passage sans transition, de l’optimisme éhonté à la panique débridée… dans laquelle plus rien ne sera gérable, sauf à remettre des liquidités et des milliards sur le tapis, et encore faire grossir les bulles et les vulnérabilités du système financier.
A lire : Faut-il aussi confiner les bourses ?
Philippe Dessertine, président de l’Institut de Haute Finance s’oppose régulièrement à l’idée de fermer les bourses en tant de crise, considérant que c’est « un thermomètre de l’activité économique », mais il reconnait la déconnexion inquiétante entre la finance et l’économie depuis que les injections de liquidités sont devenues la norme.
La masse monétaire (M2) dans l’Union Européenne a augmenté de 9% pendant le confinement, alors que l’activité économique était interrompue. C’est un non-sens total, la masse monétaire devrait suivre la production de richesse, Philippe Dessertine, président de l’institut de haute finance.
De quelles bulles parle-t-on ?
Mais de quelles bulles faut-il se méfier ?
Les actions, on vient d'en parler.
Les dettes des Etats, oui. En ce qui nous concerne, elles ne sont pas les plus inquiétantes pour le moment, car la BCE les rachète. Mais tous les Etats du monde ne sont pas logés à la même enseigne.
A lire / écouter : Argentine, Liban, Brésil, Iran : quand la crise du Covid_19 s’ajoute à la crise
Les dettes des acteurs privés, dont on parle moins, sont plus menaçantes encore.
Avant 2020, le taux d’endettement des acteurs non financiers (c’est-à-dire les ménages et les entreprises autres que les banques) taquinait déjà les 120% du PIB en France.
Que deviendront ces créances, si des entreprises font faillite, des ménages perdent leur emploi et ne peuvent plus payer leur crédit ?
Elles vont se transformer en créances douteuses pour les banques.
Une hausse marquée des défaillances d’entreprises pourrait à son tour induire une augmentation des créances douteuses au bilan des banques, freinant la dynamique du crédit, nécessaire à la reprise économique. Banque de France.
Les prêts garantis par l’Etat ne changeront pas la donne. Ils pèsent 100 milliards à ce jour, sur les 1700 milliards de dettes des entreprises non financières.
Côté ménage, l'endettement n'est pas moins problématique. Les encours de crédits ont progressé de 28% en France depuis 2015. Sur 1300 milliards de crédits aux ménages, 1000 milliards sont des crédits immobiliers.
Emprunter si peu cher, cela aide les prix à monter : quatrième bulle potentielle, les crédits hypothécaires. Que se passera-t-il quand, sans revenu et au chômage, des ménages n'arriveront plus à les rembourser, en masse.
Aux Etats-Unis, plus de 3 millions d'emprunteurs ont fait dernièrement défaut sur le paiement de leur crédit immobilier, soit le double des impayés du monde d'avant.
En France, les banques sont mieux armées qu’en 2008 pour absorber les pertes potentielles assure la Banque de France, mais dans son évaluation des risques du système financier français publiée le 23 juin 2020, elle classe les risques liés à l’endettement dans la catégorie systémique.
Systémique comprenez effet domino, réaction en chaîne, danger +++
Le risque existe, on ne peut l'écarter. Les problèmes de Main Street pourraient aisément devenir les problèmes de Wall Street.
Finie la déconnexion, pas pour un mieux, pour le pire.
Ce qui adviendra alors ne sera pas causé par un "cygne noir" (ainsi a-t-on nommé après 2008, les événements imprévisibles rares, très improbables, aux conséquences dévastatrices pour les marchés financiers). Ni par un cygne vert.
Le FMI à contre courant... pour se couvrir ?
Mais cette fois, on ne pourra pas dire au FMI qu’il n’avait rien vu venir et laissé faire sans même dire.
Peut-il, lui qui est garant de la stabilité financière mondiale, faire autre chose que prévenir, sans guérir ?
Je préférerais pour cette dernière bulle économique de la saison conclure en vous disant que les banques centrales nous ont une fois encore sauvé la mise.
On a juste gagné du temps, c’est ma seule certitude financière.
Peut être que dans ce laps de temps là, qui sait ? d'autres logiques, d’autres idées, d’autres propositions (et elles existent), sauront se faire une place dans le débat public pour que nous puissions nous projeter dans un autre devenir.
Il faut faire vite, car plus le temps passe, plus les bulles grossissent, plus ....
Marie Viennot
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