

La zombification de l’économie est-elle en marche après la covid-19 ? C’est la question qui monte. Mais qu’est-ce qu’une entreprise zombie ? Eléments de réponse sur un concept très sérieux sur lequel se penchent la Banque des règlements internationaux, Coface, France Stratégie, le Trésor etc….
2021, l’année des zombis ? Peu engageant mais c’est la question qui monte en ce début d’année. La cheffe économiste de la direction du Trésor pose directement la question en ces termes sur son blog avec un point d’interrogation, alors que d’autres apportent une réponse affirmative.
A lire / à écouter : 2021 : la chasse aux entreprises-zombies ?
Une entreprise zombie, c’est une entreprise qui n’est pas en phase de lancement et dont les résultats ne couvrent pas le remboursement des intérêts de sa dette. Pour poursuivre son activité, elle ne peut qu’emprunter à nouveau et sa dette grossit, grossit grossit inexorablement.
Combien sont-elles ? On ne sait pas bien admet la Banque des Règlements internationaux (qui supervise les banques centrales et alerte sur les risques financiers mondiaux) dans un papier d’étude intitulé : Corporate Zombies, anatomy and life cycle, papier qui compare dans le temps, et l’espace l’évolution de ces entreprises zombies.

Une chose est sure : la proportion des entreprises zombies augmente depuis 30 ans, ça ne date pas du covid-19. La faute, en partie, aux taux d’intérêts très bas, qui poussent les agents économiques à s’endetter puisque cela ne coûte pas cher.
De 4% dans les années 80, la part des zombies est passée à 15% en 2017 en moyenne sur les 14 économies étudiées. 30% en Australie et au Canada, 15% en France, mais chez nous cette part des zombies a doublé depuis 2008 alors qu’elle diminuait chez nos voisins.
Dans l’Europe continentale la part de zombies est plus faible, allant de 10% à 15%, elle est restée constante après la crise financière. A l’exception de la France où leur part a plus que doublé depuis 2008. BRI, 2020.
Or, ces chiffres sont sans doute sous-estimés reconnait la Banque des règlements internationaux car ils ne prenaient pas en compte les PME non côtées, qui sont plus sujettes à la zombification. Excusez l’expression, mais c’est celle que l’on trouve dans ce papier et dans les articles sur le sujets.
D’ampleur inconnue, cette partie morte vivante de l’économie n’a pu que prospérer après l’année 2020 estiment de nombreux experts, car pour compenser leur chiffre d’affaire en baisse, voire à zéro, les entreprises ont fait de nouveaux crédits bancaires ou émis de nouveaux titres de dette (des obligations).
C’est le cas partout, mais en France, l’endettement des entreprises était déjà plus élevé qu’ailleurs : 175 milliards d’euros de dettes en plus entre janvier et septembre 2020, contre 65 milliards sur la même période en 2019. La Banque de France juge cette dynamique d’endettement préoccupante pour la stabilité financière dans sa dernière évaluation des risques financiers.
L’endettement financier des entreprises non financières françaises atteignait 2 207 milliards d’euros fin 2019 (1 536 milliards en crédit dont 1 090 milliards prêtés par des banques résidentes et 671 milliards en titres) et représentait 173 % de la valeur ajoutée des Sociétés Non Financières (cad sans les banques et assurances en gros). Cet endettement est sur une tendance croissante depuis le milieu des années 2000 et, alors que le ratio dette / valeur ajoutée des SNF françaises était en début de période légèrement inférieur au ratio moyen dans la zone euro, il est désormais d’environ 40 points au-dessus de la moyenne de la zone euro. Banque de France.

Que dire après 2020, année où les entreprises ont ajouté de la dette à leur dette pour ne pas mourir du covid-19 ?
Plus de dette, plus de zombies ?
C’est un risque, mais ce n’est pas (heureusement pour les vivants), automatique.
La dette, et c’est pareil pour la dette publique, n’est pas toujours un problème en soit. Elle le devient s’il n’y a pas en face des rentrées d’argent pour la maintenir à un niveau soutenable.
Evaluer cela, ne pas prêter aux entreprises non viables, achever les zombies en somme, c’est le travail des banques. Mais en ce moment tout est chamboulé.
Je vais vous faire une confidence, je ne sais pas comment se décident les banques aujourd’hui. Tous nos cadres habituels, de ratio, ont volé en éclat. Guy Degeorges, Directeur Administratif et Financier pour des PME.
En temps normal et à gros trait, une entreprise est viable quand ses résultats sont suffisants pour financer son activité à long terme. Comment on fait, quand exceptionnellement son chiffre d’affaire est de 0, qu’elle a financé ses charges avec des prêts, et ne peut faire aucune projection pour l’avenir qui est incertain comme jamais ?
A lire / écouter : 2020 : les prévisions les plus sombres et incertaines de tous les temps
Quand une grande partie de l’économie est plongée en coma artificiel, les zombies passent inaperçus ou se fondent dans la masse. Non détectées, non liquidées, leur proportion peut en effet grossir. Les aides d’état, utiles, ont elles aussi brouillé les cartes.
Or les entreprises zombies peuvent entraîner dans leur marasme des entreprises saines avec qui elles sont en affaire. Voilà pourquoi on les appelle ainsi. A vivoter comme elles le font, raisonnent les économistes, sans investir, sans innover, sans être des as de la productivité, elles ralentissent le potentiel de croissance de toute une économie.
En un mot ce sont des boulets.
L’existence de ces entreprises (NDLR zombies) se traduit par une rétention de capitaux et de main-d’œuvre qui peut pénaliser le développement des autres entreprises et freiner l’entrée de nouveaux concurrents. Il existe un arbitrage intertemporel pour les pouvoirs publics entre soutenir l’activité et l’emploi à court terme, et orienter de manière optimale les ressources productives pour que le sentier de croissance ne soit pas diminué à long terme. Une question importante est de savoir si la hausse des dettes privées constatées lors de la crise de la Covid-19 mènera à une hausse des entreprises zombies, et in fine, à une baisse de la productivité. Conseil National de la Productivité 2ème rapport.
Pas besoin de ça en ce moment mais faire la chasse aux zombies, est-ce une solution pour favoriser la relance ? Surtout pas, s’énerve un cadre de la Confédération des Petites et Moyennes entreprises.
Tant qu’une entreprise a des clients, qu’elle a un carnet de commande, des salariés, elle est vivante ! Bernard COHEN-HADAD, président de la CPME Paris Île-de-France.
Et de plaider pour qu’on traite plutôt le problème à la racine. Puisque c’est le surendettement hérité de la crise, allégeons, dit ce patron, allégeons la dette des entreprises.
Pour éviter les zombies, alléger la dette des entreprises ?
Le Conseil National de la productivité fait lui aussi cette suggestion, experts comptables et administrateurs judiciaires ne voient pas comment on pourra faire sans pour certaines entreprises. Pas toutes, car les mesures de restrictions liées au covid-19 n’ont pas touché tous les secteurs de la même façon. La prévention pour éviter les faillites (et cela passe parfois par des moratoires voire des restructurations de dette) est cruciale alertent d’ailleurs les professionnels du chiffre. Dossier sur ce sujet dans le journal de 18h du 13 janvier (à 5 minutes).
Mais pour le moment, dette privée dette publique, même tabou pour l’exécutif.
Étaler la dette oui, l’alléger, il n’est pas encore question de l’envisager publiquement.
Qui de la dette ou des zombies est le plus gros boulet ? On ne le sait pas, car plane aussi la menace que certains secteurs ne repartent pas comme avant une fois le gros de la crise sanitaire passée : on pense aux transports, à l’immobilier commercial, au tourisme, au spectacle vivant. Quelle taille auront les nouveaux zombies ?
Zombie d’hier, d'aujourd’hui ou de demain, la photo n’a jamais été aussi flou qu’en ce début d’année.
Marie Viennot
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