Les Etats-Unis ont annoncé soutenir la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid-19. Mais est-ce que cela peut changer quelque chose ?
Alors que la vaccination avance en Europe ou en Amérique et permet une réduction des restrictions sanitaires, la situation reste dramatique dans de nombreux pays. A commencer par l ’Inde qui dénombre des centaines de milliers de morts et où les hôpitaux manquent toujours de matériel et d’oxygène. Et bien sûr de vaccins. L’épidémie galope, un variant s’est développé, puis étendu dans des dizaines de pays. C’est dans ce contexte d’une fracture mondiale croissante qu’est intervenu le retournement de Joe Biden début mai. Le Président américain s’est dit favorable à une levée des brevets sur les vaccins.
La crise sanitaire mondiale appelle des mesures extraordinaires a affirmé la représentante américaine au Commerce, en soulignant l’urgence de la situation. Alors que depuis des mois les Etats Unis —o ù Pfizer et Moderna détiennent les principaux brevets - s’étaient opposés à cela. Tout comme l’Europe, la Suisse, le Canada. Pourtant depuis octobre, l’Inde et l’Afrique du Sud, suivis par une centaine de pays, en font la demande à l’Organisation mondiale du commerce.
De son côté le patron de l’Organisation mondiale de la santé a qualifié d’historique, le changement de position des Etats unis. Mais dans quelle mesure ? Quelles conséquences à court terme cela pourrait avoir ?
A priori aucune accélération immédiate de la vaccination. Cela permet surtout à Joe Biden de marquer des points en termes de diplomatie publique. Alors même que les Etats-Unis ont attendu d 'avoir 40% de vaccinés pour tenir ces propos, et ont longtemps refusé d’exporter leurs vaccins.
Et cela crée aussi probablement une pression politique sur les pays européens. Malgré leur désaccord exprimé entre autres par la présidente de la commission Ursula Von der Leyen pour qui ce n’est pas la solution. “A court terme cela n’apportera aucune dose supplémentaire de vaccin”, a-t-elle estimé.
Reste que l'Europe semble désormais prête à discuter du sujet. Même si entre discuter et négocier il y a encore un long chemin.
La prochaine réunion à l’OMC sur ce sujet est prévue les 8 et 9 juin prochains. L’Inde et l’Afrique du Sud devraient reformuler leur demande d’ici là. Car rappelons qu’il existe plusieurs types de brevet sur chaque vaccin Lesquels lever, sous quelles modalités, pendant combien de temps? C’est tout cela qui pourrait faire l'objet de négociations. Mais si ces dernières finissent par commencer, elles prendront du temps. Tellement, que la pénurie de vaccins contre le Covid pourrait ne plus être un problème d’ici là.
Autre obstacle, l’industrie pharmaceutique. Très opposée à ce qui serait une remise en cause de son modèle économique, elle rappelle les spécificités techniques et le savoir-faire nécessaires. C’est vrai. Les aspects légaux de la propriété intellectuelle sont une chose. Mais la levée des brevets ne suffira pas à savoir fabriquer un vaccin. Cela requiert la recette, le matériel, mais aussi un savoir-faire important. En somme, un transfert de technologie et un accompagnement volontaire de la part de ceux qui ont conçu les vaccins actuels.
Est-ce tout cela rend la décision américaine moins importante ? Peut-être pas.. Car à elle renouvelle et infléchit une discussion ancienne. Mais qui jusqu’ici opposait, en général, les acteurs économiques, industrie pharmaceutique en tête, et des militants de l’accès aux soins pour tous.
En élargissant le débat, la pandémie ouvre une nouvelle voie pour penser le modèle économique des vaccins et médicaments, et ce que seraient des communs de santé. Avec cette fois, un nouvel interlocuteur de poids. En somme, ces changements de discours remettent en débat un fonctionnement qui montre ses limites dans la crise. Ce dernier ne sera probablement pas modifié dans le temps de cette pandémie. Peut-être même ne le sera-t-il pas du tout. Mais en tout cas il y a là, en ce moment et avec ces déclarations américaines, un changement des équilibres et des rapports de force.
Pour certains chercheurs comme l’économiste Thomas Piketty, au-delà de la seule question de la production des vaccins, ce sont les modalités de la solidarité internationale qui sont ici en question.
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