

En 1970, les pays de l’Onu s’engageaient à consacrer 0,7% de leur PIB à l’aide au développement dans la décennie suivante. En 2019, on est à 0,3%, 0,44% pour la France. La crise du covid-19 pousse les pays riches, inquiets, à renouveler leurs promesses envers les pays pauvres.
Le gouvernement a présenté mercredi 16 décembre un projet de loi d’orientation et de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Un engagement de campagne du président Emmanuel Macron. Le lendemain un conseil présidentiel s’est tenu, avec le Président et le Premier ministre en viso conférence, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de l’Economie et de la relance. Ce conseil consacre le retour d’une ambition française pour le développement, affirme Jean Yves Le Drian lors de la conférence de presse.
Bruno Le Maire et moi-même nous sortons tout juste du premier conseil présidentiel du développement. Avec un APD, une aide publique au développement proche de 10 milliards d’euros, notre pays est enfin revenu dans le jeu, après quelques années d’éclipse. Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères.
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L’éclipse dont parle l’ancien socialiste a duré de 2010 à 2017, période pendant laquelle l’aide publique française au développement, austérité post crise financière oblige, a chuté de 0,5% du PIB à 0,3%. Cette tendance à la baisse, on la retrouve dans d’autres pays, mais pas tous. Le Royaume Uni et l’Allemagne ont réussi dans cette période à se rapprocher du fameux chiffre de 0,7% de leur revenu national consacré à l’aide au développement.

L’éclipse française, on pourrait la faire démarrer dans les années 80, car c’est dans ces années-là que la France aurait dû consacrer, 0,7% de son PIB à l’aide au développement si elle avait respecté sa promesse.
Ce chiffre, 0,7%, les pays de l’ONU s’étaient engagés en 1970, à l’atteindre dans la décennie suivante. Seulement 6 pays (Royaume Uni Danemark Norvège Suède Luxembourg Turquie) ont réussi depuis, alors que la moyenne mondiale est à 0,3%.
Des promesses toujours des promesses
En France, tous les Présidents ont promis d’atteindre les 0,7 à échéance régulière et nombreuses : en 1981, 1992, 2000, 2002, 2005, 2008, 2012, 2014 et 2015.

Emmanuel Macron a lui été plus modeste : il s’est engagé à atteindre 0,55% en 2022, or après 0,44% en 2019, cet objectif serait atteint en 2021 et 2022 selon les prévisions présentées cette semaine par Bercy.
Promesse tenue ?
Comme souvent, il faut rentrer dans les tableaux et les chiffres pour tempérer tout triomphalisme.
Premier gros bémol, cette augmentation de l’aide française au développement rapportée au PIB, doit beaucoup au fait qu’en 2020 et 2021, le PIB a chuté du fait de la covid-19, et que le dénominateur qui permet de calculer ce ratio est donc plus petit.
En valeur absolue néanmoins, le projet de loi sur le développement prévoit des dépenses en augmentation pour l’aide au développement : 17 milliards d’euros en 2021, après 12 milliards en 2020, et presque 11 en 2019.

Indéniable est l’effort, mais rajoutons trois bémols au premier.
D’abord, 20% de cette aide consiste en des prêts selon les documents budgétaires, 50% selon les ONG.
A écouter : ITV de Michael Siegel, responsable plaidoyer au sein de l'ONG Action contre la Faim, dans le journal de 22h du 17 décembre
Ensuite, une partie de l’aide qui augmente ne quitte pas la France et va aux frais d’étude et de bourse des étudiants étrangers, ainsi qu'à l’aide aux réfugiés sur le territoire français. Plusieurs députés de la commission des affaires étrangères l’ont fait remarquer au ministre des Affaires étrangères lorsqu’ils l’ont auditionné à l’occasion de l’examen du Projet de loi de finances 2021.

Une partie de l'APD ne quitte pas la France
Enfin, si on passe de 12 à 17 milliards d’euros d’aide en un an, c’est parce que le gouvernement anticipe, comme le FMI, une explosion du surendettement dans les pays pauvres, qu’il a prévu d’annuler l’an prochain 4 milliards de dette, et que ces remises comptent dans le calcul de l’aide au développement.
A lire/ écouter : Faillite des pays pauvres : la crise qui vient
Pour les pays pauvres dont la dette sera allégée, c’est un soulagement, mais cet argent ne bénéficie pas directement aux populations fait valoir l’ONG ONE.
D’ailleurs, Bercy précise qu’il va retirer ces 4 milliards pour le calcul du ratio que tout le monde scrute, et que les 0,55% atteint en 2021, c’est sans ces remises de dette. Avec les 4 milliards, on aurait pu crier victoire, car la cible des 0,7% aurait été quasi atteinte en 2021.
Ces précisions faites, il faut reconnaître que la France accroît plutôt qu’elle ne diminue son aide aux pays pauvres alors qu’elle-même traverse une grave crise, et qu’elle avait fait l’inverse après 2008.
C’est que la crise qui s’annonce n’a rien à voir avec celle de 2008, notamment pour les pays Africains qui n’avaient pas alors connus de récession.
L’Elysée souligne ouvertement les risques de déstabilisation qui pèsent sur le continent africain avec la récession économique. Côté sanitaire, ne pas aider les pays en difficulté où circule le virus prolongerait la durée de la pandémie.
Mais ce qui est prévu est-il à la hauteur des besoins qui vont s’accumulant pour les pays pauvres : dette, mais aussi soins de santé, vaccins, et plus urgent encore famine ?
Déjà avant la crise, plus de la moitié de la population mondiale était privée d’accès à des services de santé essentiels ; 258 millions d’enfants, d’adolescent·e·s et de jeunes n’étaient pas scolarisé·e·s ; 2,2 milliards de personnes n’avaient pas accès à l’eau potable ; moins d’une personne sur cinq dans les pays à faible revenu bénéficiait de mesures de protection sociale et près de 9% de la population mondiale souffrait de la faim. Communiqué du 16 décembre d’Action contre la Faim, Action Santé Mondiale, Coalition Eau, Coalition Education, ONE, Oxfam, Solidarité Sida
Après avoir diminué pendant des décennies, le nombre de personnes mal nourries augmente depuis 2016 sous l’effet des guerres et des changements climatiques, selon le dernier rapport de l’ONU sur L'état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde. Début janvier, le Programme Alimentaire Mondial a créée une carte interactive de la faim qui permet de mesurer l’évolution de la situation quasi au jour le jour.

C'est en Asie que les personnes qui souffrent de la faim sont les plus nombreuses, mais c'est en en Afrique que leur nombre croît le plus rapidement. Selon le rapport, la pandémie de covid-19 pourrait faire basculer plus de 130 millions de personnes supplémentaires dans la faim chronique d'ici à la fin de 2020. ONU. 13 Juillet 2020.
L'impact de la pandémie de faim plus grave que celui du covid alerte le PAM
2021 sera une année catastrophique a prévenu le directeur du PAM, David Beasley, le Programme Alimentaire Mondial en recevant le Prix Nobel de la Paix. "Puisse cette récompense, disait-il, nous aider à réunir l'argent nécessaire pour faire cesser la faim".
Nous sommes à ce qui est peut-être le moment le plus ironique de l'histoire moderne. D’une part, après un siècle d'avancées massives dans l'élimination de l'extrême pauvreté, 270 millions de nos voisins sont aujourd'hui menacés par la faim sévère. C'est plus que la population entière de l'Europe occidentale. D'autre part, notre monde compte aujourd'hui 400 milles milliards de dollars de richesses. David Beasley, en recevant le Prix Nobel de la Paix le 10 décembre.
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Il faut 15 milliards au Programme alimentaire mondial pour pouvoir remplir ses missions l’an prochain fait savoir le PAM dans une nouvelle vidéo. A ce jour, il n’en a réuni que la moitié, et poursuit sa tournée d'appel à la générosité.
Marie Viennot
L'équipe
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