Questionnée par des parlementaires européens sur l'action de la Banque Centrale Européenne en faveur du climat, Christine Lagarde considère que la stabilité des prix reste la mission première, mais que les risques environnementaux doivent devenir une mission essentielle. Une tragédie l'attend.
Quand elle prononce cette phrase "Il faudra des changements" dans son propos liminaire lors de son audition par les député.es du comité économique et monétaire du Parlement européen, Christine Lagarde ne parle pas de changer du tout au tout la politique monétaire de la banque centrale européenne, elle ne parle QUE de l'enjeu climatique.
Car sur le cœur de l'activité de la BCE, rien ne changera. La stabilité des prix reste (c'est dans son mandat), l'objectif premier, et le robinet à euros sera encore longtemps ouvert pour éviter marasme économique et/ou crise financière.
A court terme, voilà les marchés financiers rassurés, moins les députés européens qui furent nombreux à questionner la française candidate à la présidence de la BCE sur sa fibre climatique. Pour revoir cette audition le lien est ici.
Elle présidente, la BCE utilisera-t-elle ses moyens colossaux pour contribuer à limiter le réchauffement climatique, ou continuera-t-elle à favoriser les industries les plus polluantes, comme aujourd'hui ?
C'est incroyable mais vrai, quand on regarde les secteurs financés par la BCE via l'un de ses programmes post-crise (comme le fait ce rapport de l'Institut Veblen, et Positive Money Europe cité plusieurs fois par les députés européens), on constate que 7% de l'argent va vers des produits verts et le transport ferroviaire, et 63% vers les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre, automobile, production et distribution d’énergie fossile, etc....
BCE : 7% verte, 63% GES +++
Climaticide la BCE ? Un peu oui, mais malgré elle. Pour être neutre économiquement, la BCE achète les actifs financiers qui sont sur les marchés de façon proportionnelle, sans choisir les secteurs, or ce sont les plus carbonés qui dominent l'économie. Au nom de la neutralité, la BCE renforce donc les activités qui nuisent le plus au climat.
Vous présidente, Madame Lagarde ont demandé plusieurs élus européens, notamment français des Verts, Renaissance et la France Insoumise, cette situation va-t-elle perdurer ?
Il est évident que les choses ne peuvent pas changer du jour au lendemain. Mais qu'on aille vers une transition graduelle pour éliminer ce type d'actif, cela me parait aussi un impératif si on est convaincu de... de la nécessité absolue de joindre nos forces ou que l'on soit et quelque soit l'institution que l'on dirige pour lutter contre le changement climatique. Christine Lagarde, en réponse à la question de Pascal Canfin.
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Impératif, nécessité absolue... les mots qu'utilise Christine Lagarde sont forts. "Le risque climatique doit être au cœur de notre action, dira-t-elle aussi pendant son audition. Ou encore "La prise en compte du climat et des risques environnementaux doivent être des missions essentielles". Tout cela, elle le disait aussi quand elle était à la tête du FMI. On lui connait notamment cette réplique mémorable :
Si on ne fait rien contre le réchauffement climatique, maintenant, dans 50 ans, nous serons tous grillés et toastés... Christine Lagarde en 2017.
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A l'écouter, Christine Lagarde fait donc bien partie des convaincues. Mais à la tête de la banque centrale européenne, elle devra composer avec le conseil des gouverneurs. Ils seront alors 25 autour de la table, 6 membres du directoire de la BCE, et les 19 gouverneurs des pays de la zone euro.
Elle devra aussi composer avec le mandat de la BCE, pour qui le changement climatique n'est qu'une des priorités affichées par l'Union Européenne. Une priorité parmi d'autres. Favoriser les énergies non polluantes, au détriment des emplois dans le secteur automobile par exemple, c'est un choix politique. Or la BCE se veut apolitique. Sur cette question, je vous conseille l'extrait de l'audition par les députés français de Benoit Coeuré, membre du directoire de la BCE au printemps 2019, ou le discours (en anglais) vers lequel la BCE renvoi pour toutes questions sur son implication climatique.
L'autre limite à toutes velléités d'actions immédiates est d'ordre technique. Depuis le discours choc du patron de la banque d'Angleterre Mark Carney : Briser la tragédie des horizons, les banquiers centraux et de nombreux acteurs financiers ont pris conscience que le changement climatique posait un risque financier sérieux, systémique même, et qu'ils devaient s'en soucier.
Un réseau des banques centrales pour verdir la finance a été crée en 2018 ( voir ici son dernier rapport) mais ce risque climatique, comment quantifier son impact sur les produits financiers? Avec quels critères? On ne sait même pas aujourd'hui ce qu'est un produit financier vert, il n'y a aucune définition claire et commune.
Des travaux sont en cours, notamment au parlement européen pour mettre au point ce qu'on appelle une "taxonomie" des produits verts. Possible que la BCE puisse utiliser cette définition par la suite s'est avancée Christine Lagarde, mais pour le moment, s'il y a urgence, c'est donc encore, à réfléchir, élaborer, recommander, ce que continuera à faire la BCE au sein du réseau des banques centrales pour le verdissement de la finance selon elle.
Prudence et frayeur
La prudence est de mise, mais la peur aussi. Imaginez qu'une banque centrale mesure l'impact du changement climatique et du passage à une économie bas carbone sur tous les produits financiers, qu'elle en conclue qu'ils sont surévalués de TANT, et qu'elle intègre cette décote ensuite à son fonctionnement. Faire ça, c'est plonger potentiellement la planète finance dans la crise et l'économie avec.
Or le chaos climatique prend son temps, tandis que le chaos financier lui est à effet immédiat.
Cruel dilemme. C'est ça la tragédie des horizons évoquée par le patron de la banque d'Angleterre Mark Carney en 2015 (ici un lien vers ce discours traduit).
Sortir de cette tragédie a beau être depuis l'objectif affiché de plus en plus d'institutions financières, BCE comprise, l'audition de Christine Lagarde a montré que la fin de la pièce restait encore à écrire.
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Marie Viennot
L'équipe
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