

200 millionnaires ont profité du forum de Davos pour lancer un appel aux dirigeants politiques. Taxez nous davantage ! Mais aucun politique n'a (encore) saisi la balle au bond. Encore. Car ces appels reviennent régulièrement.
Cheveux blancs, bonnet et parka rouge, Philip White porte une pancarte avec écrit "Tax the rich". Taxez les riches. Nous sommes à Davos, dans la station de ski suisse qui accueille chaque année le forum du même nom.
Philip White fait partie des " Patriotic millionnaires", les millionnaires patriotes, un collectif créé en 2010 aux Etats Unis.
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Ingénieur de formation, Philip White a fait fortune en vendant la société dont il était associé à un fonds financier. Comme lui, 200 autres millionnaires ont profité du forum de Davos pour lancer un appel aux dirigeants politiques qui y assistent : ils veulent être plus taxés et tout de suite. (Leur appel traduit à la fin de la chronique).
"Les extrêmes sont insoutenables, souvent dangereux et rarement tolérés longtemps. Alors pourquoi, en cette ère de crises multiples, continuez-vous à tolérer l'extrême richesse ? écrivent les millionnaires dans leur tribune. Tous sont quasi inconnus, notamment les deux français, un certain Jonathan Hallama, et une femme nommée Eugénie E.
Depuis 5 décennies, les richesses n'ont coulé que vers le haut, c'est leur constat. Les faits sont là, compilés chaque année par OXFAM, à partir des études publiées par Crédit Suisse, Fortune, Forbes, ou le World inequality data base, une base de données sur les inégalités co-dirigées notamment par Thomas Piketty et Gabriel Zucman.
En 10 ans, les milliardaires ont multiplié leur fortune par deux. 2021 fut une année record, moins l'année 2022, où leur fortune baisse mais reste au dessus de ce qu'elle était en 2020. In fine, la crise sanitaire a donc été profitable pour les plus fortunés.

Le problème, ce n'est pas que des fortunes existent et voire même prospèrent, mais que leur propriétaires contribuent structurellement moins que les classes moyenne à la caisse commune. Dans les années 80, le taux maximum d'impôt sur le revenu taquinait les 60%, on est aujourd'hui à 42% dans les pays de l'OCDE, 31% dans les pays à revenus intermédiaires. La fiscalité du patrimoine et des successions aussi suit cette tendance à la baisse.

N'allez pas croire pour autant que pour chaque euro gagné, les plus riches en versent plus d'un tiers aux caisses publiques.
Il y a deux ans, le site d'investigation Pro publica avait révélé comment les 25 plus riches américains ne déclaraient quasi aucun revenu, en faisant payer la plupart de leurs dépenses par leur société, ou via des emprunts.
Quand Mark Zuckerberg a rejoint le club des PDG à un dollar...
En 2014, Mark Zuckerberg le patron de Facebook n'a déclaré qu'un dollars de revenu, comme les PDG d'Apple ou ceux de Google. Ellon Musk n'a pas payé d'impôt sur le revenu en 2018.
Les données confidentielles auxquelles ont eu accès les journalistes de Pro publica sont anciennes, et on ne connait pas les déclarations plus récentes de ces quelques milliardaires américains, mais les règles fiscales ayant peu évolué depuis, ce type d'aberration est toujours possible. Je relate dans la chronique ci-dessous ces révélations qui ont déclenché une "Tax Storm" (dans un verre d'eau) aux Etats Unis il y a deux ans.
A lire/ écouter : Tax Storm aux USA : quand éviter les impôts parait moins grave que de le divulguer
Les inégalités de richesse, les impôts, la redistribution (autre que philanthropique et volontaire), ne sont pas des sujets dont on parle beaucoup à Davos, mais sur la centaine de conférences de la semaine, l'une d'elle a consacré 45 minutes à une taxe bien précise.

Un an et demi après l'accord de principe obtenu à l'OCDE pour que les multinationales soient au moins taxés à 15%, cet accord est-il dans les limbes ? C'est la question.
Le patron de l'OCDE Matthias Corman, argue que non.
L'économiste français Gabriel Zucman redit que cet accord est un progrès immense mais que 15% c'est trop peu, et il ramène le sujet à celui des inégalités entre individus. Le patrimoine des plus riches venant pour l'essentiel de leurs actifs économiques, ne pas oser taxer les entreprises, c'est dit-il "s'exposer au risque que la croissance des inégalités de revenu et de richesse perdure".
" Rien n'empêche les pays de taxer les particuliers comme ils le souhaitent" ajoute alors le patron de l'OCDE. Vrai, alors pourquoi ne le font-ils pas ? On connait la réponse : sinon les riches vont partir, et le pays s'appauvrir.
C'est aussi cet argument qui a tiré les impôts des sociétés vers le bas depuis 40 ans, alors si on a pu se mettre d'accord sur un taux minimal mondial pour les entreprises, pourquoi pas pour les particuliers ?
C'est sûr, techniquement ce serait compliqué, mais les pays du G20 pourraient confier à l'OCDE, comme ils l'ont fait pour les multinationales, un mandat pour y réfléchir et faire des propositions ! Sauf qu'ils ne le font pas.
Même si l'heure de rembourser les dettes du Covid approche, même si 1700 milliards de dollars par an pourraient être collectés au niveau mondial, si un impôt sur la fortune de 2 à 5% touchait les millionnaires et milliardaires, les dirigeants n'ont visiblement pas la volonté de collecter cet argent. Pas plus aujourd'hui, qu'hier...
" En collaboration avec l’Institute for Policy Studies, les Patriotic Millionaires et la Fight Inequality Alliance, Oxfam a utilisé les données de Wealth-X et Forbes pour calculer qu’un impôt sur la fortune de 2 % sur les millionnaires du monde entier, de 3 % sur les personnes dont la fortune dépasse 50 millions de dollars et de 5 % sur les milliardaires du monde entier permettrait de collecter chaque année 1 700 milliards de dollars". Extrait du rapport d'Oxfam.
Taxez nous davantage : on l'a déjà entendu !
Que des milliardaires demandent à être plus taxés, c'est un refrain connu outre atlantique, et porté régulièrement par Warren Buffet, la 5ème fortune mondiale Avec son ukulele, le financier pousse volontiers la chansonnette en public, et réclame depuis 2011 à payer sa "fair share", sa juste part d'impôt.
A lire/ écouter : Bulle économique du 29 juin 2019 : USA : des milliardaires implorent : taxer nous plus !
En 2019, il rallie 20 autres milliardaires à sa cause, tous très peu connus, à part l'héritière Disney et Georges Soros.
L'argument qui revient à chaque fois, c'est : comment est-ce possible qu'un américain moyen paie plus d'impôts en proportion de son revenu que les plus riches des plus riches ?
En mars 2022, voilà ses désirs réalisés, le Président américain propose enfin le " Billionaire Minimum Income Tax". Taxe minimale sur les milliardaires, qui prévoit que les Américains les plus riches, pas seulement les milliardaires paient au moins 20% de leur revenu en impôt, ce qui inclut aussi la valorisation de leur patrimoine boursier.
Le texte est alors rejeté de peu, un sénateur démocrate ayant rallié les conservateurs sur ce sujet. Aujourd'hui le "Billionnaire minimum income tax" est dans les limbes, les élections de mi mandat ayant encore réduit les marges de manœuvre du Président Biden.
Ces appels n'étant jamais suivis, les 200 millionnaires patriotes de la tribune parue à Davos, s'achètent-ils une bonne conscience à pas cher avec leurs appels répétés à payer plus d'impôts ?
Quentin Parinello, chargé de plaidoyer justice fiscale chez Oxfam, et co-auteur du rapport paru cette année veut croire que non. "La prise de conscience progresse, car l'an dernier ces millionnaires n'étaient que 100, et ils n'étaient qu'Américains. Là, ils sont 200 venus de 13 pays. Qu'ils réhabilitent le role progressif des impôts dans leurs propos fait aussi avancer notre cause, car on entend de moins en moins ce discours dans la bouche des politiques".
Au moins, le message que les taxes sont un investissement pour le bien commun aura-t-il été porté par quelques uns à Davos, fussent-ils peu nombreux et multimillionnaires.
Il faut se réjouir de peu, et se contenter encore d'écouter Warren Buffet chanter les rêves qui un jour deviendront réalité.
VERBATIM : LE TEXTE DES 200 MILLIONNAIRES PUBLIE PENDANT DAVOS
À l'attention de nos dirigeants politiques présents à Davos :
Nous vivons à une époque d'extrêmes. Hausse de la pauvreté et creusement des inégalités de richesse ; la montée du nationalisme anti-démocratique ; climat extrême et déclin écologique ; les profondes vulnérabilités de nos systèmes sociaux partagés ; et la diminution des possibilités pour des milliards de gens ordinaires de gagner un salaire décent.
Les extrêmes sont insoutenables, souvent dangereux et rarement tolérés longtemps. Alors pourquoi, en cette ère de crises multiples, continuez-vous à tolérer l'extrême richesse ?
L'histoire des cinq dernières décennies est une histoire de richesse qui ne coule que vers le haut. Ces dernières années, cette tendance s'est fortement accélérée. Au cours des deux premières années de la pandémie, les 10 hommes les plus riches du monde ont doublé leur richesse tandis que 99 % des personnes ont vu leurs revenus baisser. Les milliardaires et les millionnaires ont vu leur richesse augmenter de milliards de dollars, tandis que le simple coût de la vie paralyse désormais des familles ordinaires à travers le monde.
La solution est évidente pour tous. Vous, nos représentants mondiaux, devez nous taxer, nous les ultra riches, et vous devez commencer maintenant.
L'inaction actuelle est très préoccupante. Une réunion de « l'élite mondiale » à Davos pour discuter de la « coopération dans un monde fragmenté » est inutile si vous ne vous attaquez pas à la cause profonde de la division. La défense de la démocratie et la construction de la coopération nécessitent des actions pour construire des économies plus justes dès maintenant - ce n'est pas un problème que nos enfants peuvent régler.
Il est maintenant temps de s'attaquer à l'extrême richesse ; Il est maintenant temps de taxer les ultra riches.
Il n'y a qu'un certain nombre de stress qu'une société peut supporter, seulement un certain nombre de fois où les mères et les pères verront leurs enfants souffrir de la faim tandis que les ultra riches contemplent leur richesse croissante. Le coût de l'action est beaucoup moins cher que le coût de l'inaction - il est temps de se mettre au travail.
Taxez les ultra-riches et faites-le maintenant. C'est de l'économie simple et de bon sens. C'est un investissement dans notre bien commun et un avenir meilleur que nous méritons tous, et en tant que millionnaires, nous voulons faire cet investissement.
Qu'est-ce - ou qui - vous en empêche ?
Sur ce sujet, je vous conseille vivement d'écouter ce passionnant Entendez vous l'eco, du lundi 16 janvier.
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