Grèce : après la crise, vogue la galère...

Ile de Santorin. La Grèce a accueilli 30 millions de touristes en 2017, le tourisme pèse 20% de son PIB, un million d'emplois, c'est l'un des plus forts espoirs de croissance pour l'avenir.
Ile de Santorin. La Grèce a accueilli 30 millions de touristes en 2017, le tourisme pèse 20% de son PIB, un million d'emplois, c'est l'un des plus forts espoirs de croissance pour l'avenir.  ©AFP - PHILIPPE ROYER
Ile de Santorin. La Grèce a accueilli 30 millions de touristes en 2017, le tourisme pèse 20% de son PIB, un million d'emplois, c'est l'un des plus forts espoirs de croissance pour l'avenir. ©AFP - PHILIPPE ROYER
Ile de Santorin. La Grèce a accueilli 30 millions de touristes en 2017, le tourisme pèse 20% de son PIB, un million d'emplois, c'est l'un des plus forts espoirs de croissance pour l'avenir. ©AFP - PHILIPPE ROYER
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Après 8 années sous assistance financière de la zone euro, du FMI et de la BCE, la Grèce va bientôt voler de ses propres ailes... mais les conditions ne sont pas optimales, et le bain de son autonomie retrouvée n'aura rien d'un long fleuve tranquille.

Le 20 août, la Grèce n'aura plus administrativement de co-capitaine.   Elle sera elle aussi obligée de prendre la mer, et de voguer comme elle le faisait avant la crise, comme le font tous les Etats endettés de la zone euro, sur les flots plus ou moins tumultueux des... marchés financiers.   

Il y a huit ans, c'est parce qu'elle n'arrivait plus à se financer sur les marchés que la Grèce a du être secouru par ses partenaires européens.   Ils ne l'ont pas fait de gaieté de cœur, mais parce qu'ils y étaient obligés. Si la Grèce faisait faillite, le chaos aurait été général. Avec le FMI, les pays de la zone euros se sont donc substitués en 2010 aux marchés financiers, et ils ont récupéré sa dette, mais pas sans contre partie.   

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NB: Ceci est une version longue de la chronique radio (dont les sons émanent d'un reportage à Egine en 2015). J'y explique notamment en bas de page, comment les États de la zone euro ont aussi gagné de l'argent grâce à la crise grecque.   

8 ans de réformes plus tard....

En 8 ans, il y a eu 11 réformes des retraites (toujours des coupes dans les pensions) les effectifs de la fonction publique ont fondu d'un tiers, le smic a perdu d'un jour à l'autre 100 euros par mois, les conventions collectives ont été mises aux oubliettes... etc etc etc. La liste des mesures imposées à la Grèce par ses créanciers est infinie, tout comme les critiques à leur endroit.   

Les mesures structurelles étant vues à ce jour comme la recette miracle aux problèmes de dette et de croissance, elles ont été imposées à la Grèce dans l'espoir de rendre sa dette remboursable un jour (on dit soutenable). Ce que voulaient les créanciers de la Grèce, c'était être surs d'être remboursés de leurs prêts (et qu'au final, nous contribuables nous ne soyons pas obligé d'éponger les dettes grecques).  

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L'objectif était aussi politique. Avec la Grèce, la zone euro (emmenée par l'Allemagne) a fait un exemple. "Prenez garde, voilà ce qui arrive si on ne fait pas preuve de rigueur budgétaire".    

Cette semaine, une page se tourne. La Grèce n'en a pas fini avec les réformes, elle s'est engagée à ne revenir sur aucune d'entre elle à l'avenir, et en dépit des discours, elle reste dépendante financièrement (mais dans une moindre mesure) des autres pays de la zone euro. Je développe cet aspect en bas de page, et y explique comment les États de la zone euro (Allemagne en tête) ont fait de juteux profits grâce à la crise grecque.   

Mais la Grèce est-elle capable de dépendre à nouveau des marchés financiers? Lui feront-ils confiance? La mariée qui s'élance sur les flots est-elle assez belle?   

La mariée a-t-elle été bien dotée ?   

La Grèce n'est pas la seule à sortir d'un programme d'ajustement européen. Avant elle, il y a eu l'Irlande, le Portugal et Chypre pour qui cela se passe plutôt bien.   

Ensuite, les marchés financiers lui ont déjà prêté plusieurs fois ces 3 dernières années, à des taux élevés mais gérables.   

Enfin, les pays de la zone euro ont fait un geste, ils ont allégé sa dette, et prêté selon eux assez d'argent pour que la Grèce tienne 22 mois sans emprunt. Voir ici, en anglais le communiqué de presse de l'Eurogroupe sur l'accord sur la Grèce du 22 juin 2018.    

22 mois de marge, cela permet d'emprunter au meilleur moment, et tant mieux car ces derniers temps justement, les marchés sont fébriles. Entre la remontée du dollars, le protectionnisme des États Unis, et la nouvelle coalition au pouvoir en Italie, les investisseurs s'inquiètent, ce qui a tendance à faire remonter les taux d'intérêts des pays jugés risqués, dont la Grèce. L 'Etat Grec a d'ailleurs repoussé une levée de fond prévu dernièrement pour cette raison.    

Mais 22 mois, c'est peu à l'échelle d'un pays qui doit rembourser ses dettes jusqu'en 2060.  La question, c'est donc celle du long terme. La Grèce peut-elle inspirer la confiance pendant 40 années d'affilée? 

Bien sur cela dépend des politiques qu'elle mènera. Sur le plan économique cela dépend de sa croissance.   

Or la Grèce part de très loin.  Même si la croissance a fait son retour depuis un an, le PIB grec n'a toujours pas retrouvé le niveau qu'il avait avant la crise. Les investissements ont chuté de 60%. Sa productivité reste l'une des plus faible de la zone euro, et les banques grecques, bien que recapitalisées trois fois depuis 2010 ont la moitié de leurs bilans plombés par des crédits que les emprunteurs n'arrivent plus à rembourser.   

La mariée est belle... malgré tout

Comme dot, on a fait mieux mais la mariée grecque a quand même quelques atouts.   

D'abord sa beauté. L'an passé 32 millions de touristes ont visité la Grèce. Trois fois la population du pays. Aurait-on atteint un maximum? Visiblement non, chaque année est un nouveau record.   

Ensuite, sa position géographique, entre Europe et Asie. La Grèce est sur la route de la soie: le grand projet des Chinois. Le port du Pirée leur appartient dorénavant, et la Grèce espère gagner des parts de marchés dans la logistique.  

Elle compte aussi sur sa marine marchande, son agriculture, ses ressources énergétiques. Mais tout cela sera-t-il suffisant pour atteindre la croissance jugée nécessaire pour qu'elle puisse rembourser ses emprunts?   

Pour que la dette de la Grèce soit remboursable, et donc que de nouveaux créanciers soient d'accord pour lui prêter, la richesse de la Grèce doit croitre chaque année d'au moins 2%. Or la Grèce a un énorme handicap: sa démographie.   

La Grèce vieillit et perd des habitants. 11 millions aujourd'hui, ils seront 9 millions en 2050.   

... mais elle vieillit  

Comment produire chaque année plus de richesse, quand on a de moins en moins d'habitants? Comment vendre plus, et toujours plus s'il y a de moins de clients? Exporter, être plus productif, ce serait une solution, mais justement productivité et exportation sont deux faiblesses structurelles de la Grèce.   

Autre solution, faire plus d'enfant. Mais ça n'est pas évident quand la crise a fait fuir des centaines de milliers de jeunes à l'étranger, et qu'on craint l'avenir...     

Depuis 2010, les naissances ont chuté de 20% en Grèce, mais en 2016, inversion de la courbe, il y a eu 92 898 naissances, contre 91847 en 2015. 1000 bébés de plus.  C'est peu. C'est tout petit, mais des courbes qui remontent voilà qui sied à qui veut séduire les marchés financiers. Des courbes qui remontent, à part les courbes de dette, déficit, chômage et pauvreté, souhaitons en beaucoup d'autres à la Grèce à l'avenir.  

Marie Viennot 

A écouter : La Grèce, bientôt libre de ses choix économiques ? 

La dépendance à l'Eurozone reste après l'accord du 22 juin 2018 : pourquoi?   

La Grèce retrouve des marges de liberté, mais ses créanciers ont tout de même tenu à maintenir la relation ancienne: argent contre réforme.  Pour comprendre il faut revenir au début de la crise grecque. 

En 2010, les marchés attaquent la Grèce, les taux d'intérêt s'envole, la Banque centrale européenne fait alors ce qui semblait inimaginable auparavant, elle achète des titres de dette grecque.  Ces titres, ils ont été redistribué aux banques centrales de chaque pays, en fonction du poids économique de chacun. L'Allemagne et la France en ont donc beaucoup.   

Quand on a un titre de dette, on touche un coupon, c'est à dire un intérêt. Or les intérêts sur la dette grecque étant à l'époque assez élevé, la somme totale de ces intérêts n'est pas négligeable du tout. C'est 8 milliards d'euros entre 2012 et 2016 selon la BCE.   

En 2012, il avait été convenu que cet argent serait rendu à la Grèce. Mais Alexis Tispras a été élu, il a énervé tout le monde, et les États de la zone euro ont finalement gardé l'argent pour eux à partir de 2015. Lors de l'accord de sortie du programme d'ajustement, forcément on a reparlé de cette promesse, et OUI, l'Eurogroupe s'est engagé à verser cet argent à la Grèce. Mais attention, comme toujours le diable se cache dans les détails. 

Comment gagner de l'argent avec la crise grecque

Les intérêts dont il est question, ce sont ceux de 2014 (qui ont été versé sur un compte à part logé au Mécanisme européen de stabilité), et ceux qui seront touchés à partir de 2017. 

Et ceux de 2015 et 2016? Le communiqué de l'Eurogroupe n'en parle pas, ce qui laisse supposer que la Grèce peut tirer un trait dessus. Pour l'Allemagne, le ministre allemand des finances l'a reconnu dans sa réponse à la question d'un député vert, c'est presque 2.5 milliards d'euros qui n'ont pas été rétrocédé à la Grèce, et donc potentiellement 2.5 milliards d'euros gagnés grâce à la crise grecque et qui ne lui seront pas rendus. Pour la France on ne sait pas officiellement, je vous renvoie à cet article d'Eric Dor pour des précisions sur ce sujet.   

La Grèce a du également accepter que les futurs intérêts gagnés sur ces bons du trésor achetés en 2010 (vous suivez toujours :), ne lui soit rendu que si et seulement si elle continuait d'appliquer les réformes déjà engagées.  

Tous les 6 mois, il y aura une décision à ce sujet, après un examen approfondi de la situation financière grecque.  

On est donc pas très loin de ce qui se passait jusqu'à maintenant. Les montants en jeu sont moindre mais là on ne parle pas de prêt mais d'argent que la Grèce n'aurait pas à rembourser. Une carotte en remplace une autre. Et au passage, les créanciers de la zone euro auront fait une plus valu grâce à la crise grecque. Sauront-ils au moins le reconnaitre? A suivre.