Pourquoi la réforme de la zone euro vous concerne...

Mario Centeno, à gauche, distrbuera la parole lors des réunions de l'Eurogroupe. Ici avec l'ancien président de l'Eurogroupe, le néerlandais Jeroen Dijsselbloem élu en 2013
Mario Centeno, à gauche, distrbuera la parole lors des réunions de l'Eurogroupe. Ici avec l'ancien président de l'Eurogroupe, le néerlandais Jeroen Dijsselbloem élu en 2013 ©AFP - ERIC PIERMONT
Mario Centeno, à gauche, distrbuera la parole lors des réunions de l'Eurogroupe. Ici avec l'ancien président de l'Eurogroupe, le néerlandais Jeroen Dijsselbloem élu en 2013 ©AFP - ERIC PIERMONT
Mario Centeno, à gauche, distrbuera la parole lors des réunions de l'Eurogroupe. Ici avec l'ancien président de l'Eurogroupe, le néerlandais Jeroen Dijsselbloem élu en 2013 ©AFP - ERIC PIERMONT
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La réforme de l'Eurogroupe et de la zone euro sont à l'agenda. Sujet technique mais qui vous concerne puisqu'il s'agit de démocratie, de solidarité, et d'argent.

L'Eurogroupe, c'est la réunion des ministres des finances de la zone euro. Quand l'euro a été crée, tous les pays de l'Union Européenne étaient censés y adhérer à terme. On n'a donc pas réfléchit au fonctionnement de ce groupe "zone euro" dans le groupe Union Européenne, car son existence ne devait être que temporaire.   

En 2008, un protocole additionnel au traité de l'Union Européenne entérine l'existence de l'Eurogroupe en quelques lignes et le décrit ainsi.  

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"Les ministres des États membres dont la monnaie est l'euro se réunissent entre eux de façon informelle".

Informel, l'Eurogroupe l'est encore en 2009, quand éclate la crise des dettes européennes. Portugal, Grèce, Irlande sont au bord du gouffre, la zone euro est en danger...   L'Eurogroupe doit alors régler des problèmes capitaux, alors que rien ne dit comment il doit discuter, ni décider, ni voter.   

NB: Cet article dans sa version écrite a été réactualisé le 4 juin 2018 et enrichi (un peu plus bas) des propositions allemandes sur la réforme de la zone euro, suite à une interview d'Angela Merkel dans un journal conservateur allemand. 

L'Eurogroupe, un "fantôme bureaucratique"

Yanis Varoufakis, l'ancien ministre des finances grec débarqué par Alexis Tsipras au moment où la Grèce menaçait de sortir de la zone euro décrit l'Eurogroupe comme un fantôme bureaucratique. Dans l'extrait ci-dessous, il s'entretient avec Noam Chomsky.   

C'est (l'Eurogroupe) en dehors du cadre des lois européennes, explique t'il. Mais après l'Eurogroupe, il y a un Ecofin, la réunion de tous les ministres de l'UE, et l'ECOFIN lui existe. Donc il entérine, sans discussion, tout ce que l'Eurogroupe a décidé... il n'y a pas de débat. Yannis Varoufakis, ministre des finances de la Grèce entre janvier et juin 2015.  

Sur cette partie de son discours Yanis Varoufakis n'est démenti par personne. Il ne fait que relater les faits.   

En pratique, l'Eurogroupe décide au consensus, mais qui domine les discussions? Pour le savoir, il faudrait pouvoir lire les comptes rendus des réunions, mais hors le dernier livre de Yanis Varoufakis et des fuites, qui montrent l'ascendant total du ministre Allemand Wolfgang Schäuble, aucune minute de l'Eurogroupe n'est publiée.  A la Commission Européenne, on plaide pour qu'elles le soient.   

Plus de transparence, cela éviterait que des ministres des finances disent à l'extérieur de l'Eurogroupe, le contraire de ce qu'ils ont dit en réunion. Un fonctionnaire européen.

En décembre dernier, la Commission Européenne a publié des propositions pour réformer l'Eurogroupe et la zone euro.  Elle plaide pour un ministre des finances de la zone euro: sorte de super commissaire permanent, garant de l'intérêt européen, et responsable devant des députés européens, eux aussi réunis en zone euro.   

Pourquoi créer ce nouveau poste? Un expert du sujet explique que l'un des problèmes de l'Eurogroupe, c'est que personne n'y a un rôle prépondérant pour représenter l'intérêt commun.  Le commissaire à l'économie (Pierre Moscovici) y participe, mais ce n'est pas lui qui est chargé de l'agenda et de distribuer la parole, c'est le président de l'Eurogroupe, et la préparation des réunions se fait au Conseil Européen (réunion des pays). Ainsi, dit ce même expert qui préfère ne pas être cité, personne ne représente avec force l'intérêt général européen dans cette enceinte, et l'Eurogroupe devient souvent le théâtre des égoïsmes nationaux. 

L'Eurogroupe, "un pouvoir opaque et irresponsable"

Sur le volet démocratie de la réforme de l'Union Économique et Monétaire,  Emmanuel Macron a fait des propositions lors de son discours sur l'Europe en septembre, tout comme   Thomas Piketty, (selon qui l'Eurogroupe exerce un "nouveau pouvoir opaque et irresponsable") et Benoit Hamon, pendant la campagne présidentielle de 2017.     

A lire/ écouter: Refonder la zone euro, une idée qui vient de loin (ancien billet économique avec beaucoup de liens pour ceux qui s'intéressent de près à la question).  

Pour le moment l'Eurogroupe ne rend de compte à personne, or il ne prend pas de petites décisions.   

Quand il décide en 2010 de créer un fonds de 750 milliards d'euros pour aider les pays en difficultés de la zone euro (ici sa confirmation par le conseil de l' ECOFIN), il conduit l’État français à garantir ce fond à hauteur de 111 milliards d'euros en cas de difficulté. Un quart du budget de l’État, la somme n'a rien d'anecdotique.    

Ainsi, en France, la loi n° 2010-606 du 7 juin 2010 de finances rectificative pour 2010 a autorisé le ministre chargé de l'économie à accorder la garantie de l’État au FESF, dans la limite d'un plafond de 111 milliards d'euros, jusqu'au 30 juin 2013. Rapport du Sénat.  

Quand il pérennise ce mécanisme un an plus tard, la France doit alors apporter 16 milliards d'euros en capital en 5 ans, argent qu'elle n'a pas et doit emprunter. Notre dette en a donc été alourdie d'autant.     

Quand l'Eurogroupe prévoit la restructuration du secteur bancaire chypriote à l'agonie en 2013, il veut d'abord taxer tous les dépôts de 6 à 9%. Le parlement chypriote refusera d'entériner cette taxe. Le plan suivant décidera alors notamment de restructurer le secteur bancaire, et ironie du sort, ceux qui porteront plainte contre cette décision, se verront répondre par la Cour de Justice de l'Union Européenne, que l'Eurogroupe étant informel, il ne peut être assimilé à un organe de l'Union.   

"Enfin, dans la mesure où les requérants visaient, par leur recours, l’annulation d’une déclaration de l’Eurogroupe, il y a lieu de relever non seulement que le qualificatif « informel » est employé dans le libellé du protocole no 14 sur l’Eurogroupe annexé au traité FUE, mais également que l’Eurogroupe ne figure pas parmi les différentes formations du Conseil de l’Union européenne, énumérées à l’annexe I du règlement intérieur de celui-ci, adopté par la décision du Conseil 2009/937/UE, du 1er décembre 2009 (JO 2009, L 325, p. 35), dont la liste est visée à l’article 16, paragraphe 6, TUE. Dès lors, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 55 à 65 de ses conclusions, l’Eurogroupe ne peut ni être assimilé à une formation du Conseil ni être qualifié d’organe ou d’organisme de l’Union au sens de l’article 263 TFUE. La Cour Européenne de Justice dans un arrêt du 20 septembre 2016.   

Mais bien sûr, c'est la vie des Grecques qui a  la plus été impactée par les décisions de l'Eurogroupe. 

Pour ne prendre qu'une seule de ses décisions, quand l'Eurogroupe refuse en 2016 d'octroyer une nouvelle tranche de prêt à la Grèce car elle vient d'augmenter une partie de ses dépenses sociales, il montre qu'en tant que créanciers, c'est lui (avec le FMI et la BCE) qui préside aux décisions du pays. Vous n'êtes pas concernés, mais les Grecs, oui, et un jour, cela pourrait être vous...  

A lire/écouter: Nouveau bras de fer entre la Grèce et... mais qui en fait? 

Enfin des propositions allemandes

Le 3 juin 2018, Angela Merkel fait ses propositions dans la zone euro, mais sans renier les habituels principes allemands sur l'orthodoxie budgétaire.  Mieux vaut tard que jamais cependant. La France a dévoilé ses idées pour réformer la zone euro, il y a 8 mois, la commission européenne a formalisé les siennes la semaine dernière, on attendait donc plus que les positions allemandes pour aborder le sommet des chefs d’État de fin juin, un sommet consacré à la zone euro, avec l'idée qu'il serait possible de négocier sur quelque chose.  

On part cependant sur des visions opposées de la zone euro et de sa gouvernance. Si vous prenez le Fonds Monétaire Européen. L'idée de la commission, c'est d'ancrer ce fonds dans les traités, de le rendre responsable devant le parlement européen, ce que n'est pas actuellement le Mécanisme européen de stabilité, qui a été crée dans l'urgence en 2012 pour régler la crise grecque.   La position de la France, elle est plus ambitieuse, puisqu'elle voit ce FME comme un rempart contre les éventuelles crises à venir...  La position d'Angela Merkel n'a rien à voir. 

Selon elle, ce fonds monétaire européen pourrait assurer la surveillance budgétaire des Etats Membres, n'accorder des prêts qu'en échange de réformes structurelles d'ampleur, et que si "la zone euro est en danger", autrement dit, si un pays de la zone euro s'enfonce dans la crise mais ne menace pas ses voisins... ce fonds monétaire européen n'aurait pas nécessairement à intervenir. les conservateurs allemands auront sans doute été rassuré, tout comme ils l'auront été sur le budget de la zone euro.   Là encore, la France avance l'idée d'un budget conséquent, plusieurs centaines de milliards d'euros, pour lancer des projets d'envergure et réduire les divergences économiques qui s'accroissent dans la zone euro. Du côté allemand, on est sur quelques dizaines de milliards d'euros. Pas sûr que ces propositions allemandes suffisent à faire taire les eurosceptiques italiens qui vont dorénavant participer à ces réflexions...

Le Ronaldo de l'Eurogroupe

Depuis début janvier l'Eurogroupe a un nouveau président, le ministre des finances portugais Mario Centeno. Ci dessous une longue intervention devant la presse portugaise après son élection.   

Une page se tourne, il n'y a pas en ce moment de crise à gérer, et cet ancien universitaire sans étiquette politique est chargé de mener à bien les réformes que tout le monde appelle de ses vœux, notamment le Président français. Depuis son élection en mai, Emmanuel Macron presse Angela Merkel de le rejoindre sur cet agenda, mais cette question n'est pas considérée comme une priorité par la fragile coalition qui vient de voir le jour entre le SPD et la CDU. De plus, Angela Merkel s'est toujours montrée moins encline à discuter de la gouvernance de l'Eurogroupe, question jugée subalterne comparée à d'autres problèmes plus pressants, selon elle, comme la surveillance plus stricte de la rigueur budgétaire. Or pour Emmanuel Macron, ce sujet est crucial. 

Si rien ne bouge, il n'y a plus de zone euro dans 10 ans. Emmanuel Macron quand il était ministre de l'économie.

14 économistes Français et Allemand, dont Jean Pisani-Ferry (ancien conseiller économique d'Emmanuel Macron pendant sa campagne) ont également plaidé pour une réforme de la zone euro dans une tribune commune parue fin janvier.   

On parle d'un budget commun, d'un fond monétaire européen, de mutualisation de la garantie des dépôts bancaires. Tous ces sujets vous concernent aussi car plus simplement, on parle là de solidarité financière entre les États de la zone euro, et d'un plus grand fédéralisme.  Un accord est loin loin loin d'être trouvé. Un sommet sur le sujet est prévu à la fin juin. 

A Mario Centeno, la lourde tache de rendre possible un consensus. Il a dit la semaine de sa nomination qu'il espérait pouvoir avancer dès le moins de juin. " Le statu quo n'est pas une option" a-t-il déclaré à un quotidien allemand à trois jours de sa première réunion de l'Eurogroupe en tant que président. Les mois qui viennent seront pour lui l'occasion de prouver qu'il n'a pas usurpé son surnom de "Ronaldo de l'Eurogroupe". Et s'il atteint son but, on pourra dire comme dans les vidéos que l'on trouve sur Ronaldo... 

OUAOUH quel génie, cet homme est incroyable...

Marie Viennot   

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