La BCE vient d'annoncer la fin des rachat d'actifs ou QE. Ne vous enfuyez pas, c'est simple à comprendre. 2400 milliards d'euros déversés dans l'économie, c'est beaucoup. A quoi cela a servi? Qu'aurait-on pu faire avec cet argent? La réponse est politique mais les politiques ne s'y intéressent pas.
Il y a trois ans, en décembre 2015 à la COP 21, les dirigeants du monde entier se demandaient comment réunir 100 milliards de dollars pour aider les pays en développement face au changement climatique. Aujourd'hui, ils ont trouvé à peine 10 milliards.
Or ces dernières années, les banques centrales des Etats Unis, d'Angleterre, du Japon et de la zone euro auront dépensé plus de 7000 milliards pour leurs emplettes sur les marchés financiers. Ce qu'on a appelé programme de rachat d'actifs (APP Asset Purchase Program) ou encore QE (Quantitative Easing), ou assouplissement quantitatif.
Pourquoi est-ce si facile de trouver de l'argent pour acheter des produits financiers, mais pas pour lutter contre le réchauffement climatique?
La réponse habituelle à cette question simple, c'est que les banques centrales ne font pas de politique. Elles sont indépendantes, et leurs actions sont censées être neutres et ne favoriser aucun agent économique. Mais ça c'était avant la crise financière.
Depuis 10 ans, les banques centrales ont mis en place des mesures dites non conventionnelles qui ont bien plus d'impact sur l'économie que n'en aura jamais la loi "Pacte pour la croissance" du gouvernement français (qui fera sans doute plus d'articles que le programme APP de la BCE...). Voilà pourquoi cela vaut la peine de s'y attarder, surtout quand il y a 2400 milliards d'euros à la clefs.
Compliqué comme sujet? Juste en apparence...
2400 miliards d'euros c'est l'argent dépensé par la BCE pour son programme de rachat d'actif dont Mario Draghi, le président de la BCE a annoncé la fin progressive le 14 juin 2018.
Ne soyez pas effrayé par le graphique ci-dessous. Il détaille la composition des achats de la BCE dont vous trouverez les données ici.
- PSPP: achat d'obligations des Etats de la zone euro (sauf Grèce)
- CSPP: achat d'obligation d'entreprises
- CBPP3: achat de produits dérivés de créances du secteur public
- ABSPP: achat de produits titrisés
Mais ne soyez pas effrayé par la technicité du sujet, ce que vous devez retenir, c'est qu'au total, la BCE a dépensé 2400 d'euros et que 2400 milliards, c'est beaucoup, c'est 6 fois le budget annuel de l'Etat français. C'est un quart de la richesse produite par la zone euro par an.
Pour une banque centrale trouver l'argent n'est pas un problème, elle crée l'argent, et l'argent devient réel quand elle le dépense. Les assureurs, fonds de pensions, ou banques qui ont vendu leur titres financiers à la BCE ont bien encaissé l'argent. Rien de virtuel la dedans...
Cet argent devait permettre à ces agents financiers d'investir dans des projets plus risqués, de prêter davantage aux entreprises et aux ménages... et au final, les milliards banque centrale devaient ruisseler jusque dans l'économie réelle. C'était ça le principe que décrit cette infographie produite par l'ONG: QE for People, une association qui plaide pour que le "quantitative easing" profite à tous.
Et ci-dessous un graphique qui illustre (selon cette ONG aussi), comment cela s'est réellement passé.
QE et montée des inégalités
Quand on compare la croissance, le chômage et l'inflation avant et après ces programmes de rachat d'actif, le bilan est bon. Rien à dire, tout va mieux. Quand on voit à quel point les taux d'intérêt auxquels empruntent les États de la zone euro ont chuté, rien à dire non plus, ils sont au plus bas, et cela profite à tous les contribuables.
Mais il y a eu aussi des effets indésirés. Quand il y a plus d'acheteur pour un même bien, le prix augmente, c'est un principe de base. Alors quand toutes les banques centrales se sont mises à acheter des produits financiers, leur valeur a bondi.
Or qui a des produits financiers dans son portefeuille? Les plus fortunés.
Les politiques de rachat d'actifs des banques centrales ont participé à la croissance des inégalités ces 5 dernières années et ce n'est pas une ONG qui le dit.
La Banque d'Angleterre, et l'agence de notation Standard and Poors, en font le constat pour le QE britannique. Selon Standard and poors, en Grande Bretagne les 10% les plus riches possédaient 56% des richesses en 2008, ils en possèdent 65% en 2014.
Le lien direct avec le QE soulève des débats passionnés parmi les économistes: voir ici, ici, mais aussi ici... Tout cela en anglais pour un public motivé, et ici en français pour un public plus large.
Il est vrai que les plus riches sont les premiers à bénéficier des effets du QE, en même temps c'est l'outil le plus puissant pour faire reculer les inégalités à plus long terme, Mario Draghi, président de la BCE, lors d'une audition au Parlement européen.
Comprenez: à long terme, le QE par son effet sur la croissance profitera à tous, mais à court terme, les gains sont bien plus importants pour les plus fortunés.
Moralité, les mesures que prend la BCE ne sont plus neutres. Certains agents économiques en bénéficient plus que d'autres. Dès lors, pourquoi ne pas utiliser les ressources monétaires illimitées de la BCE pour des projets politiques, comme la lutte contre le réchauffement climatique?
La question n'est pas nouvelle. Plusieurs économistes français ont lancé un appel en ce sens en 2016 , et Gaël Giraud, aujourd'hui chef économiste de l'Agence Française de Développement posait la question en ces termes après la crise financière.
La BCE a créé plusieurs milliers de milliards pour sauver les banques, ne pourrait-elle pas en faire autant pour sauver le continent et, avec lui, la planète ? Gael Giraud
Bonne nouvelle, le parlement européen le réclame officiellement depuis mai dernier, et la banque centrale européenne a accepté l'idée de participer aux réflexions sur le verdissement de sa politique.
Malheureusement, ce changement profond, et systémique du rôle de la BCE n'est pas à l'ordre du jour des travaux qui sont sur la table pour réformer la zone euro. Comme si 2400 milliards d'euros, ça ne valait pas une discussion, comme si 2400 milliards ça n'était pas, excusez du peu, un pognon de dingue...
Marie Viennot
La chanson sur le Quantitative easing américain (avec sous-titres)
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