

La loi sur le secret des affaires arrive en France : le Parlement va transposer la directive européenne adoptée il y a deux ans. Le texte ravive les inquiétudes pour les lanceurs d'alerte et l'information des citoyens.
La confidentialité des informations des entreprises sera bientôt renforcée. Seront-elles mieux protégées des voleurs ou davantage cachées aux citoyens ? C'est là toute la question. La France a jusqu'au mois de juin pour traduire en droit national la directive européenne sur le secret des affaires. Et c'est l'objet d'une proposition de loi portée par le député La République en Marche Raphaël Gauvain, et discutée la semaine prochaine à l'Assemblée nationale. Et ce texte ravive les critiques et inquiétudes apparues il y a deux ans, au moment de l'adoption du nouveau cadre européen.
L'objet de cette législation, c'est de permettre aux entreprises de se prémunir plus fortement contre le vol de secrets industriels ou leur divulgation à des concurrents. Cela peut être des brevets, des secrets de fabrication, et surtout des données économiques, le véritable enjeu à l'heure du numérique. Et cela d'autant plus qu'elle sont désormais facilement accessibles ou copiables. Le problème, c'est l'équilibre. Comment faire en sorte que les intérêts particuliers des entreprises ne soient pas défendus au détriment de l'intérêt général ou de celui de l'ensemble des citoyens.
Que dit la proposition de loi ? Elle suit l'esprit de la directive. Et rend illégales l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’une information répondant à trois critères : ne pas être facilement accessible à des personnes extérieures à l’entreprise ; revêtir une valeur commerciale parce qu’elle est secrète. Et faire l’objet de mesures de protection « raisonnables » de la part de l’entreprise. Le risque, c'est que cela entre contradiction avec d'autres nécessités démocratiques comme publier ses comptes, rendre compte des décisions importantes qui sont prises ou de ses pratiques financières. Autant de choses dont les entreprises pourraient être tentée de s'exempter au nom du secret des affaires. Dans quelles conditions les scandales comme LuxLeaks, les Panama Papers ou l'affaire du Mediator pourront-ils être portés à la connaissance du grand public, dès lors que les entreprises ont les moyens de poursuivre en justice ceux qui les dénoncent.
"Un danger pour nos libertés"
Le texte propose des exceptions, notamment pour défendre la liberté d'expression. Insuffisantes estiment un grand nombre d'ONG, syndicats, avocats, journalistes ou chercheurs. Certains s'en inquiètent, dans une tribune publiée la semaine dernière. En cause, la définition du secret des affaires. Elle est pour l'heure "si vaste que n'importe quelle information interne à une entreprise peut désormais être classée dans cette catégorie", écrivent-ils. Ils soulignent que si la France est tenue de rester dans l'esprit du texte européen, elle dispose néanmoins d'une marge de manoeuvre politique importante.
En pratique, qui pourrait être poursuivi au nom du secret des affaires ? Les syndicalistes qui rendraient publiques des informations, y compris auprès des salariés de leur entreprise. En l'état, le texte précise que divulguer des informations doit être nécessaire à l'exercice de la fonction de représentant des salariés Une formulation qui laisse au juge une grande marge d'interprétation. Les lanceurs d'alertes eux doivent être protégé dès lors qu'il exerce leur droit d'alerte tel qu'il est désormais prévu par la loi. Mais cette définition conserve un flou qui pourrait ici leur porter préjudice.
La liberté de la presse, enfin, fait partie des exceptions prévues par le texte. Mais cela ne protège pas complètement les journalistes. Un certain nombre de textes permettent déjà aux entreprises de les attaquer. Comme l'illustrent les poursuites régulières de Bolloré contre les médias, ou la récente décision de justice obtenu par Conforama : elle a obligé le magazine Challenges à retirer de son site un article sur les difficultés financières de l'enseigne. Dans le même temps, les attaques des entreprises contre les chercheurs se multiplient : ce qu'on appelle les procédures-baillons.
C'est dans ce contexte qu'arrive cette proposition de loi. Protéger et informer : il y a déjà une importante concurrence entre les principes et les législations Et dans ce climat, l'équilibre auquel parviendra ou non le texte discuté la semaine prochaine sera un bon indicateur du message envoyé aux entreprises.
Catherine Petillon
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